Ludovic DROUET, Le paradoxe de Billy, Lansman/CED-WB, 2022, 40 p., 10 €, ISBN : 9782807103627
Ça commence par un fait divers qui ressemble à un crime crapuleux, enfin à quelque chose hors normes… Deux motards, Billy et Jo, sont retrouvés chacun une balle dans le front en lisière de forêt. Déjà l’endroit de l’impact fait sens pour le lecteur : il s’agirait d’une exécution, d’une vengeance, d’un rituel, bref l’imagination tourne mais soudain l’auteur nous entraîne dans une autre dimension… Ludovic Drouet, avec sa dernière pièce, Le paradoxe de Billy, nous mène à la limite du fantastique et des hypothèses concernant un ailleurs, d’autant plus qu’un autre événement néfaste semble déjà avoir eu lieu dans les environs proches. Un mal obscur règne.
Bien sûr il y a enquête mais elle affiche vite une liste de questions dérangeantes, déroutantes si ce n’est étranges… Le paradoxe de Billy vient de commencer et d’amblée on entre dans un univers à plusieurs dimensions narratives et temporelles…
L’ici et maintenant, l’hier, le passé, la remémoration de la vie du couple d’avant le drame, le croisement des discours dramatiques et des temporalités augmentent le sentiment de malaise devant cette situation qui scintille d’ambivalence et d’ambiguïtés. Pas de certitude pour l’enquêteur ou le spectateur, pas de certitude pour le conteur intérieur qui réside en chacun de nous, pas de certitude en ce qui concerne les frontières du Bien et du Mal. Tout est trouble, pas mêlé mais trouble, flottant.
Billy et Jo surviennent de l’obscurité et nous parlent. On est dans la parole sans apprêt, tout se dit et se contredit. Ces deux êtres sont des errants de notre temps, des héros sans lumières, des êtres fragiles, violents, rebelles et amoureux.
Manifestement Ludovic Drouet traite une question au cœur des préoccupations d’un siècle aux lumières inquiètes. L’hypothèse de mondes parallèles, d’influences discrètes, de troubles conjonctions physiques et métaphysiques ordonnent le récit de façon tout aussi proche d’un Lovecraft que d’un polar contemporain.
L’auteur et metteur en scène connaît parfaitement son métier de monteur de différentes matières sonores, textuelles, filmiques, photographiques, scéniques. Le texte qu’il nous donne à lire n’est qu’une partie du vaisseau dans lequel les spectateurs ont pu embarquer mais il suffit déjà à nous envoyer dans une inquiétante étrangeté, dans cet univers où ce qui est révélé n’est pas suffisamment révélateur et où les personnages sont les acteurs d’un drame qui entraîne le spectateur dans des hypothèses qui sont de l’ordre du métaphysique si ce n’est du magique. Le spectacle et le texte interrogent notre conception du temps et les entrelacs des multiples représentations temporelles qui nous traversent.
Intrigues, émotions, fragilités des personnages font de cette pièce une sorte de sonde sensible et décapante tout à la fois dans l’écho de notre temps.
Daniel Simon