Carino BUCCIARELLI, Nous et les Oiseaux, M.E.O., 2021, 156 p., 16 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-8070-0267-8
La cohabitation pacifique ou terrible entre les oiseaux et des hommes a déjà été traitée depuis des millénaires dans la littérature, la poésie, la musique et, plus récemment, le cinéma… Les oiseaux sont des figures mythologiques, des formes de pythies annonçant des destins obscurs… Là où vont les oiseaux et les dieux ne peuvent aller les hommes, disaient les Grecs…
Les apparitions d’oiseaux annonciateurs de catastrophe ou de salvation sont une des dimensions fortes du dernier roman de Carino Bucciarelli, Nous et les oiseaux.
Disons-le tout de suite, c’est un coup de maître !
L’auteur, par ailleurs poète de haut vol, est là dans la parfaite maîtrise de son art, celui des jeux de transfuges d’un univers à l’autre, d’une parallèle à l’autre dans une logique magique de permutation de réalités. Les évaporations de perception, les glissements d’un apparent réel à un autre font de ce roman véritablement une sorte d’acmé de la matière même au cœur de l’écriture et des obsessions de l’auteur : la loi secrète des labyrinthes, les transgressions d’apparitions-disparitions et tout ce qui constitue une sorte d’incertitude du monde et probablement de ce leitmotiv du temps, l’identité, ou, plutôt les identités successives des êtres.
Tout l’art de Carino Bucciarelli est de mettre en valeur des éléments d’un réel supposé, puis soudain, de le soustraire à la logique narrative et, l’air de rien, tout en tendant ce même fil narratif, à le remplacer par une autre réfraction éclairante.
Carino Bucciarelli est, comme il le rappelle lui-même, un écrivain du labyrinthe, un tresseur de récits qui laisse apparaître à chaque instant du livre les déperditions de ce que nous appelons le réel et notre sentiment d’être là.
Nous et les oiseaux, dès les premières pages, met en place le malaise de la connivence du lecteur avec le personnage de monsieur ou madame Delatour…
Nous sommes sur une route enneigée la nuit en pleine forêt, une famille en voiture avance dans cette nuit quand soudain l’accident (une pierre sur la route, un roue faussée) et voilà le père qui part à pied – ils ont tous oublié leur téléphone portable –rejoindre une borne téléphonique le long de l’autoroute.
Une voiture passe, une femme impassible à bord, elle avance, ne détourne pas la tête et disparaît au loin, un oiseau observe tout ça, une corneille. On le sait, cet animal à la sinistre réputation est en fait un des oiseaux les plus intelligents de l’espèce. Cette corneille, de borne en borne, d’arbre en arbre, inquiète le protagoniste égaré.
L’oiseau et l’homme se scrutent. Puis la corneille s’envole, comme pour précéder le protagoniste égaré dans son destin que l’auteur met en scène. On pourrait croire que cette corneille sait ce qui va se passer, est en train de se passer ou ne se passera pas… Elle connaît la suite mais, comme les dieux antiques, elle ne peut, ou ne veut rien changer du misérable destin de celui qui s’agite, là, en bas.
Des rencontres avec un policier, une policière et la présence en permanence des oiseaux, des photos d’oiseaux dans le récit donnent au lecteur des indices qui vite se dissipent pour être chassés par d’autres signes. C’est passionnant.
Carino Bucciarelli sait presser les apparences comme un fruit généreux et l’éditeur n’hésite pas, très légitimement, à le présenter comme un jongleur scintillant du réalisme magique…
Carino Bucciarelli prend plaisir à extraire de chaque événement du récit ce qui pourrait le conduire au désastre, à une forme silencieuse de l’horreur. Ce serait peu de chose de dire que l’auteur est un conteur, il est aussi un observateur minutieux des glissements que chaque jour accueille en nous. L’enfer ce n’est pas les autres, pas besoin, ils sont en nous et nous les emportons vaille que vaille dans notre errance sans fin.
Carino Bucciarelli délie ainsi les arborescences de toutes ces présences au monde qui sont le cristal de notre humanité multiple et emmène le lecteur là où il rêve d’aller confusément, dans le domaine des dieux…
Daniel Simon
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