Olivier TERWAGNE, Momentanément absent. Récits d’un temps volatile, Traverse/Couleur livres, coll. « Carambole », 2021, 110 p., 10 €, ISBN : 978-2-930783-37-6
« il pleuvait des ficelles, les cordes étaient en rupture de stock… / le voyage commençait sur des chapeaux de roues crevées… / je demande au taximan de sélectionner “ailleurs” dans le gps ; option “trajet le plus long”, téléphone en mode “avion” ». C’est ainsi qu’Olivier Terwagne se rend Momentanément absent, et prend la tangente des (jeux de) mots, assume le parti de queuedepoissonner la syntaxe, traverse les chemins des sonorités et des échos. Bien que parlant le mort, le nord, le morse, le russe, l’absence, lapsus, muet, sous-titre et silence, c’est dans un français entortillé de libertés qu’il s’exprime. Au fil de ses cinquante-cinq Récits d’un temps volatile, sa langue s’alambique et s’aplatit, se décline en vers et se libère en proses (et le contraire), se charge de références multiples (historiques, littéraires, musicales, sociétales, etc.) et s’affranchit de toute logique d’attente : « après avoir joué sur le [sic] mots, nous avons joué sur les lettres elle l’a eue dans la… tes hi tes hi ahhh chantait Gainsbourg pour Laetitia amour ne prend qu’un M faute de frappe on écrit N pour M je jouerai désormais sur les textos, les sextos… A + le plus est une croix chante Biolay S M S Sado Maso Schisme ? Je prends ton M en sandwich et j’en reviens au déjeuner sur l’herbe ».
Les questionnements tissant le recueil creusent et effleurent à la fois les apparences et l’insondable : les caprices de la vérité, les actes avortés, les départs de et en soi, l’inscription temporelle et générationnelle, les disparitions et les effondrements, l’aspiration aux marges, « les mots entre parenthèses [n’étant] pas fermés ». Dans un verbe tout en personnalité et en intimité, le poète maudit s’essouffle parfois à vouloir donner du sens, à assembler la cohérence : « Je cherche des petites vérités éternelles, bien modestes, pas absolues, pas éthérées ; toutes gentilles, bien concrètes. Des petites vérités pour la route, avec un morceau de pain et une gourde d’eau. Un baise-en-ville avec un carnet de bord, la copie d’un pacte secret entre la nature et l’humain, une clé d’accès à la fermeture de certaines portes. Un passe partout pour l’infini. »
Terwagne écrit des textes impossibles à ne pas entendre ; la lecture à haute voix est d’ailleurs celle qui leur rend le plus justice. Et ce n’est peut-être pas un hasard car l’auteur est également chanteur et compositeur. Artiste généreux, il offre même au lecteur détenteur de l’ouvrage un petit bonus : les morceaux de son dernier CD Éphémérides, une bande sonore dématérialisée proposant une réalité augmentée à l’expérience de lecture. Le présent s’obtient en quelques clics : une photo de la couverture postée sur les réseaux sociaux, un mail envoyé à l’écrivain (info@olivierterwagne.be), et voilà dix compositions piano en retour dans la boîte. Pour nous rendre, nous aussi, momentanément absents.
Samia Hammami