Ephémérides du Confinement/5
L'internat a été dans la vie de nombreux enfants et jeunes de ma génération, un lieu de confinement collectif, le monde se passait sans nous à l'extérieur et nous faisions le mur pour braver nos gardiens, faire un tour dans les bois environnants et rentrer la nuit, prêts à toutes les sommations d'usage avant la fusillade.
La lecture en ce temps en a sauvé plus d'un de l'imbécillité générale qui régnait dans ces établissements aux pions souvent désillusionnés et alcooliques. Robinson Crusoë me saisit au plus profond, j'espérais confusément cet éloignement des hommes dans la grande aventure de survivre, là-bas, aux confins du monde. Nous étions coupés de tout dans cette mise à l'écart pédagogique et hygiéniste, c'était en Gaume paisible, aux relents de choux, l'usine de fabrication de papier dégageait des puanteurs que le vent traînait derrière lui.
Puis il y eut les rêves de prison, romantiques et légers. Nous souhaitions cette réclusion sans les inconvénients de toutes sortes qui les accompagnaient...Trop sages, nous restâmes cloîtrés entre dortoirs et cour intérieure. Mai 68 vint bouleverser tout ça, nous étions adolescents, révoltés et la rébellion s'organisa. De pied ferme nous gagnâmes quelques heures de sortie.Filles et garçons avaient leurs lieux secrets où de subtiles caresses commençaient à s'échanger maladroitement. Nous rentrions dans nos murs les yeux pétillants et le coeur lourd.
C'était une vie en apnée, nourrissant nos feux, faite de verbes et d'estocades.
(cf. "L'école à brûler" Couleur livres, 2006)