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La quatrième de couverture nous indique que le terme de court-circuit ne doit pas être pris au sens de « circuit court » (ce que le lecteur aurait pu croire, s’agissant d’aphorismes, par définition courts et acerbes), mais plutôt « d’interruption de la circulation ». C’est que l’aphorisme détourne la langue pour prendre la pensée commune à contre-courant. En ce sens, il est avant tout subversif et peut provoquer des catastrophes. Nous obligeant à sortir des sentiers battus, impertinent et dérangeant par définition, il nous pousse à envisager le monde autrement, avec un regard neuf. Bref, il bouscule nos habitudes.
Tenter un recensement d’un tel recueil serait aussi vain que ridicule, puisque, par essence, c’est par leur brièveté et leur côté incisif que les aphorismes prennent leur sens. En dresser un compte-rendu académique ruinerait le recueil plus qu’il ne le mettrait en évidence. Relevons cependant certains aspects, comme l’humour (grinçant), toujours omniprésent :
Ce qui est commun à l’étranger, c’est qu’il vient d’ailleurs.
Lapalissade évidente, mais pleine de bon sens, finalement, et qui force à réfléchir sur l’altérité.
On trouve des réflexions sur l’écriture :
Parler, se mettre hors de soi, écrire : retrouver sa place.
Ecrire, une façon de ne pas regretter.
Ou bien sur la lecture :
Dans la lecture, seul se construit le souvenir d’un passé ignoré.
Prendre le large et revenir au livre après l’exil du jour.
D’autres encore sur les relations amoureuses :
Regarder les femmes passer, tête haute, tête basse, certaines de notre bref amour.
Comment mieux dire que la femme se sait désirée, qu’elle en a conscience, mais aussi que cet amour que les hommes lui portent risquerait d’être bref et de ne se résumer qu’à un simple attrait passager ?
D’une manière générale, l’auteur aime jouer avec les mots et les sonorités, tout en nous poussant à réfléchir :
L’amour est fait de tout, sert à tout, bon à tout, passe-partout, c’est son meilleur atout.
Certains aphorismes relèvent d’un désabusement lucide :
Si l’amour menait à quelque chose, il serait réservé aux aventuriers, mais non, profitons-en, à rien, à rien.
Dans « Vous me ferez voir des merveilles », l’auteur a regroupé soixante-trois réflexions (numérotées) sur la femme et ses seins.
Elle allait au vent, à la pluie, au soleil, derrière la proue de ses seins en bataille, elle riait devant les hécatombes qu’elle traversait gaiement et le monde suivait ses hanches océanes.
Je feuilletais ses seins comme un livre infini et l’histoire ne se répétait jamais à l’identique.
Parfois, c’est peu de chose, un chemisier s’entrouvre et tous les bruits du monde se suspendent un instant.
Ces aphorismes sont suivis d’une suite de petits récits, « L’un dans l’autre ». L’écriture et la lecture ont là aussi une place de choix.
Il en avait tant lu, feuilleté, relu, abandonné, retrouvé qu’il n’avait plus, à l’âge qui lui avait mis la main sur l’épaule, de souffle suffisant pour entrouvrir de nouveaux livres.
Plus loin, on aborde la question du style, « cette viennoiserie bourgeoise ». Ce qui compte, c’est d’avoir une voix, une vérité à dire. L’auteur parfois est désabusé, mais lucide. Il sait que rien n’est pur, que tout est commerce, et que le livre ne fait pas exception. Il évoque aussi tous les ouvrages qu’il ne lira pas, « ces chefs d’œuvre qui le resteront sans nous ». Et puis il y a l’aveu final, une petite rosserie bien sentie :
Je préfère les écrivains morts, je peux leur dire vraiment ce que je pense. Les vivants sont insupportables dès qu’ils parlent…
Daniel Simon, Courts-circuits, aphorismes, dessin de couverture, Benjamin Monti, Cactus inébranlable, printemps 2025, 80 p., 12 €.
Le recueil sur le site (de vente en ligne) du Cactus Inébranlable
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