Christophe KAUFFMAN, Babioles, Murmure des soirs, coll. « Brèves du soir », 2024, 104 p., 16 €, ISBN : 978-2-931235-27-0
La chronique est un art de la mesure libre, de la pondération, elle doit piquer notre œil, le mettre en tension, ébruiter les sons vagues qui nous entourent généralement et forcer la porte de ce qui nous entoure et à quoi nous prêtons peu d’attention, puisque la vitesse et même l’urgence permanente ont emballé le monde dans une course dans le vide cybernétique. La chronique souhaite faire entendre du monde, non sa vaste complexité, mais l’épaisseur de celle-ci à travers un prélèvement, une sorte de micro-instant saisi par l’écriture. Dès lors, le chroniqueur enverrait aux lecteurs des sondes issus d’une singulière perception du jeu des apparentes évidences.
Et Christophe Kaufmann, avec son brillant livre Babioles, déplie cet art qui est comme un recueil de notes de l’intérieur. Il nous balade dans de nombreuses évolutions de récits et, comme c’est aussi un homme de scène toujours équipé de son filet à papillon, il pratique des saisies, attrape et capte ce qu’il perçoit sous la carapace des habitudes.
Trois fois rien, des babioles, du givre griffé par un ongle paresseux sur un pare-brise, marcher dans le noir, un éloge de la littérature… autant de sujets, autant de textes, une nonantaine, dans le bref, le furtif même… Ce sont, comme l’écrivit si dramatiquement François Villon, dans son Testament, des rognures d’ongles, un rien et où réside tout notre ADN.
Avec Babioles, ce sont nonante façons de décrypter ce qui est dissimulé sous l’écorce de l’habitude, de la nonchalance, ou plutôt nonante façons de dévoiler ce qui, la plupart du temps, se révèle être notre mode opératoire. Alors lectrices et lecteurs se prennent au jeu des chuchotements et l’on se souvient, on peut dresser une liste de nos perceptions et découvrir de nouvelles façons de dénouer les fils intriqués des gangues, des cocons, des enveloppes, des tiroirs et, aujourd’hui, on pourrait ajouter, d’une carte mémoire où réside le peu et le fugace, le discret et l’évanoui.
Ces chroniques relèvent d’un genre très ancien dans la littérature ; chroniques des historiens, des voyageurs, des marins, des artisans constructeurs de cathédrales, des combattants de toutes les guerres… Partout où l’homme s’est déplacé, où il a modifié le paysage et ce que nous appelons la nature, construit ou détruit la culture et la civilisation humaines, des chroniques nous sont restées.
Christophe Kauffman n’exclut pas une relative mélancolie ou même une colère impuissante devant ce temps qui passe et ne reviendra pas, dont nous sommes faits pour le meilleur ou pour le pire et que, heureusement, la littérature peut parfois capter et déplier pour nous. De cette matière, Kauffman a écrit un bien beau livre.
Babioles rappelle dans la sonorité une danse, comme une enfance un peu folle… Un babil qui révélerait l’architecture d’une vie
Les Éditions Murmure des soirs, viennent ici d’inaugurer une nouvelle collection, « Brèves du soir », avec deux ouvrages : Poste restante, de Frédéric Kurz et Babioles, de Christophe Kauffman. Un lieu pour « des lectures qui interrogent, touchent ou émerveillent, tout en célébrant la simplicité et la beauté des mots. »
Daniel Simon