Jean-Philippe CONVERT, Tout reste à voir, Cactus inébranlable, 2022, 92 p., 15 €, ISBN: 978-2-39049-059-3
Publié au Cactus inébranlable, Tout reste à voir de Jean-Philippe Convert suit, dix ans après, Le livre des employés (Éléments de langage). Dans la même veine, en plus affiné encore…
Par ailleurs, l’auteur multiplie les interventions plastiques, les installations et performances. Il vit à Bruxelles. Son travail et sa recherche sont principalement orientés autour des questions liées au rapport entre texte et image, autour d’une sémiologie active du récit et des interfaces de la narration au temps “sacré” des algorithmes. Il a aussi collaboré à de nombreuses revues et à un livre collectif et bilingue proposant une lecture multiple et aiguë de l’œuvre de la poétesse et artiste belge Sophie Podolski (1953-1974).
Manifestement Jean-Philippe Convert cherche dans l’entre-deux, dans l’interligne, dans tous les espaces qui ne sont pas à leur place, ceux que le narrateur affecterait aux événements rapportés. Il propose des codes « sauvages » de lectures de la narration : pas de pagination, des fragments numérotés comme des sourates ou des versets anciens… Il possède une langue, même si elle s’offre fragmentée et disparate, qui force l’écoute des endroits d’humanité rarement travaillés par nombre d’auteurs…
La violence urbaine, le fait divers, le racisme ambiant, les histoires d’amour qui tournent court ou pas du tout, sont parmi d’autres sujets forts, ses thèmes de prédilection.
L’auteur installe des dispositifs qui ont pour fonction de laisser le lecteur devant un ensemble sans ordre apparent ; ce « fatras » volontaire mélange les aventures narratives et forment, dès qu’on s’éloigne du pied de la lettre, une esthétique de « l’ œil de la mouche », aux mille facettes, une rencontre du chaos et du bruit permanent, lisse et sans distinction, de l’humanité dans le déroulé et la reproduction des tragédies, de l’insolite , de cette obscène indifférence du temps.
Un livre inclassable donc, où tout fil narratif se défait au profit d’une esthétique de la brisure et du détournement, dans la lignée, peut-être, des Mille milliards de poèmes de Queneau, des cut-up de Brian Gysin et William Burroughs, des collages incertains des années soixante et septante, de la Revue TXT, … Jean-Philippe Convert joue de cette esthétique de la rupture et fait des éclats les traces d’une archéologie de la lecture, “sans queue ni tête”…
Il se fait ici le chantre d’une esthétique d’une apparente fatrasie qui signe en même temps une position politique à propos des codes de la littérature. Qu’on le suive ou non dans cette réflexion, il est patent qu’il développe un style, une pertinence stratégique qu’il pique dans tous ses textes.
Il avait rendez-vous avec Michel, le professeur de littérature bien connu dans le milieu. Il lui parla d’un livre qu’il était en train d’écrire. À la question de Michel: « Que t’apporte la forme éclatée du récit? », il répondit: « Un cadre. Le fragment permet d’explorer des petits événements, des éclats. Il y a des moments coupants, durs, et d’autres qui sont des plages de velours, très doux, absurdes ou incongrus. J’ai envie de jouer sur des registres différents, faire un livre à la fois d’une très grande violence et d’une très grande douceur, à la fois bien et mal écrit. Un livre qui adopterait la stratégie du pas de côté. Qu’au lourd succède le léger, qu’au fragment écrit avec soin suive une phrase désinvolte. Je m’approche à tâtons. Je travaille à l’instinct: je m’en remets à lui afin qu’apparaissent des solutions qui me surprennent après coup. » Et il ajouta sans que l’on en soit sûr: » La littérature est plus intelligente que nous. »
On le voit, ce projet “d’indistinction” textuelle est aussi une forme de “babélisation” du récit où l’on croise personnages et situations que le montage invite à explorer avec curiosité et jubilation.
Daniel Simon