Axel CORNIL, Là où le soleil se couche, Lansman/CED-WB, 2022, 72 p., 11 €, ISBN: 978-2-8071-0343-6
Prix des Metteurs en scène en 2021, la pièce d’Axel Cornil, Là où le soleil se couche, ne manque ni d’ambition ni de corps.
Le théâtre contemporain oscille entre des pièces d’une extrême intimité et un théâtre politique qui s’interroge de plus en plus sur la pérennité des grands récits de nos civilisations. De plus en plus souvent, revient comme une antienne le récit de la fin de notre monde, de la biodiversité et de l’existence même de l’homme.
Cette perplexité anxiogène donne matière à plusieurs pièces d’Axel Cornil, jeune auteur, comédien, né dans la région de Mons il y a une trentaine d’années et qui a déjà un beau répertoire à son actif. Une dizaine de pièces jouées et quatre publiées chez l’éditeur Lansman font de lui un des auteurs avec qui compter de la nouvelle génération.
Là où le soleil se couche se fonde sur des entrecroisements des “récits de la fin” avec des récits de l’histoire contemporaine, avec une pertinence de plus en plus fine. Axel Cornil, dans cette pièce et les duplicités qu’elle produit, s’inspire profondément des rapports entre la réalité et la fiction. Comment traiter de la vérité aujourd’hui, comment se servir de la fiction et que peut le théâtre à cet endroit?
En l’occurrence, l’auteur tresse des discours, des dialogues, des répliques sur les fins annoncées et proclamées çà et là de l’Occident… et de son théâtre évidemment. C’est une fiction bien sûr, c’est du théâtre…
La pièce se compose en de multiples percussions, dans le premier temps d’une première partie qui est en somme la présentation d’un débat sur un plateau de théâtre qui confronte des gens du métier et la figure de plus en plus récurrente de celle des réfugiés. Dans sa pièce Rwanda 94, le dramaturge Jean-Marie Piemme, qui a formé Axel Cornil à l’écriture dramatique au Conservatoire royal de Mons, avait déjà battu les cartes autrement, dans une interrogation sur le fondement et le statut de la parole théâtrale. Venait témoigner à chaque représentation une des victimes du génocide dont la parole était évidemment appuyée sur cette double face du récit, de la “représentation” et du témoignage. De nombreux débats à l’époque avaient accompagné cette prise de position de mise en scène et d’écriture.
Dans la seconde partie de la pièce, changement de tableau, de lieu et de protagoniste, comme un retournement des questions évoquées dans la première… Nous sommes dans un domaine viticole du sud où le monde se joue presque à l’insu des témoins médiatiques… Camille, écrivain à la retraite et dont la gloire n’a pas franchi de nombreusse frontières… Carla, fille de vigneron, et sa mère essaient de sauver ce domaine menacé par l’agriculture intensive. Apparaît Mahmoud, “vrai” réfugié qui, par sa présence, va faire basculer cet équilibre fragile de perclus du monde.
Carla: Où est-ce que que tu vois du fric, Francis? Ta part, les dettes l’ont engloutie. La mienne aussi d’ailleurs et ce qui restait de celle de maman également. Nous sommes à sec, on ne voit pas le fond, on l’a percuté. Il ne nous reste que la terre, la seule chose qui nous survivra, malheureusement pour toi, tu t’en fous.
Les tensions renvoient à de multiples reprises à ce fameux débat presque grotesque entre professionnels de la première partie. L’écriture ne rend pas étanches les deux parties, au contraire, ça s’entrelace sans cesse et les regains sont dans le surgissement permanent.
Transmettre et comment, ne plus bégayer des évidences anciennes, s’affronter à la dualité de la fiction et du réel, sont les grandes et belles lignes de force de cette pièce attachante et passionnante.
Daniel Simon