Des pluies torrentielles, des inondations goulues les avaient ramenés à la surface, les anciens surtout, les dégraissés, les secs étaient revenus prendre place parmi les vivants, ils étaient ballottés dans les flots en une sinistre et comique cavalcade. Le cimetière avait été dévasté et ses occupants étaient venus nous faire une danse macabre, une parade carnavalesque alors que dans cette époque des restes, du confit d’avant, les morts étaient passés à la trappe de la discrétion, de la poussière et des cendres oubliées.
Des crânes, des tibias, des os de toutes formes et de toutes sortes faisaient surface, disparaissaient puis surgissaient de la boue comme des diables bondissant de leur boîte entre les ruines monstrueuses que les eaux furieuses emportaient au coeur du village; les revenants s’installaient seuls ou en groupes entremêlés aux terrasses, on les voyait ça et là accrochés à un siège, accoudés à une table, à attendre on ne savait quoi.
Ces squelettes du retour nous revenaient, peut-être pour nous rappeler le chemin, mais la violence du fleuve de boue et de merde mêlées les emportait au loin, dans les champs immergés, dans le chaos des immondices et des objets disloqués. Ils étaient comme recouverts d’une céramique d’avant cuisson, des marionnettes concassées par leurs embrassades féroces, leurs affrontements de taureaux, leurs coïts désespérés.
Nous étions au bord, muets ; le grondement nous emplissait d’effroi et fascinait tout autant. C’était monstrueux et sublime.