Jean JAUNIAUX, L’ivresse des livres, Préface de Jacques De Decker, Zellige, coll. “Vents du Nord”, 2020, 160 p., 16 €, ISBN : 978-2-9147-7394-2
Parler du livre aujourd’hui semble un passage obligé pour celles et ceux qui en ont été nourris à l’âge des grandes constructions, cela revient souvent à évoquer une biodiversité de l’esprit qui se traduit souvent en termes d’ « ensauvagement »… Cet acte de lire si simple apparemment mais si éminemment complexe et périlleux serait de l’ordre de la fureur (nous y sommes actuellement en Fédération Wallonie-Bruxelles), du plaisir permanent, du jouir à pleines pages.
Ça nous a toujours semblé aller vite en besogne, mais il nous faut des drapeaux, des signes de ralliement, des punchlines pour passer outre la vague de l’indifférence lisse du temps dans la vitesse du présent permanent. La lecture est évidemment essentielle en ce qu’elle ralentit l’ « image–mouvement » (Deleuze) de l’existence et des addictions à l’immédiat (nous pointons ici la lecture littéraire et non celle de décryptage).
Jean Jauniaux vient de publier un livre roboratif et fin, L’ivresse des livres, entièrement marqué de ses qualités de conteur mais aussi de vif observateur du temps. En treize nouvelles aussi diverses que l’univers d’une bibliothèque, l’auteur nous promène entre amour, sensualité, résistance à la noirceur du temps, dystopie et bien entendu une évocation de ce risque que l’ivresse des livres offre aux impénitents de la lecture, la joie vive d’être en vie de façon si intense et obscure à la fois. Sachant évidemment que dans ce cas d’ivresse déclarée le lecteur en perdra une partie de la raison. Dans une langue ferme et scandée de dialogues sonnants, de sous-entendus subtils, Jean Jauniaux emmène le lecteur dans une forme de procession des éblouissements.
Ainsi chaque nouvelle de cette ivresse des livres met en scène une situation limite, un endroit de l’existence où le livre va faire curseur de vie.
Il suffit d’écouter la voix du monde pour comprendre que les livres sont aussi la voix basse de l’humanité, des archipels de pestilences, d’inquisitions, de génocides qui ont marqué la carte de cette terra incognita qu’est la lecture… Cependant, à l’instant, l’antidote naissait sous d’autres cieux, dans un temps renouvelé…
L’ivresse des livres masque volontairement mal son projet secret qui est aussi une forme d’appel à l’aide, c’est un livre plus grave qu’il n’y paraît, un livre qui remet au cœur du monde cette simple petite machine-lecture dans l’infini de la technologie en pleine métastase.
Cette ivresse des livres nous évoque cette réflexion de Jean-Luc Godard parlant du cinéma et de la télévision (on dirait aujourd’hui le flux numérique). Au cinéma, il y a le mot fin, on se lève, on sort de la salle et on rejoint le monde… Dans la télévision, il n’y a pas de fin, jour et nuit, le ruban passe sans destination particulière.
Jean Jauniaux pratique de nombreuses activités autour du livre, écrivain, journaliste, animateur de radio littéraire, conférencier… Il vient de nous laisser un viatique de prix, un appel aux textes plus qu’aux icônes les évoquant…
Jacques De Decker avait préfacé, peu avant sa disparition, le livre de son ami et complice Jauniaux. Une fois encore, c’est à une lumineuse lecture du temps des oukases et des régressions que De Decker s’était affronté. Sa préface se révèle devenir une forme de baptême littéraire d’un objet rare.
Daniel Simon