aux Belles phrases!
Le sous-titre renvoie à un contenu singulier. Il n’est pas question d’un roman ou d’un recueil de nouvelles, ni d’un essai ou d’un témoignage mais de Promenades, soit d’un ensemble de textes, d’articles tournant autour du rapport à la lecture ou à l’écriture, des ateliers d’écriture aussi. Avec, en guise de bonus, une micro-interview de l’auteur.
Je ne suis pas à l’aise face à ce type de livres, mes appétits et mon expertise se conjuguant au grand large, à la structuration ample, etc. Je dois donc m’adapter, quitte à perdre l’essentiel de mes compétences, quitte à perdre ma passion pour l’immersion. Comme si l’on m’arrachait à une journée de randonnée menant à 3000 m et à un col prestigieux pour m’offrir un sentier botanique. Apprendre à goûter autrement. Par petites bouchées. Qui peuvent, toutefois, être intenses.
Et de fait. On a ramassé au fil de la lecture, de ses bonds et rebonds, une manne de pépites d’or.
Il y a de purs bonheurs de lecture. Des gorgées où la voile du sens est gonflée par la notation poétique :
« Ecrire, c’est souvent se ramasser endolori de chutes infinies. » ;
« (…) je m’allongeais un peu près de vous, dans la poussière, sans la matière, dans la poussière de Gutenberg . » ;
« Ecrire, et lire, ces temps suspendus, seraient une forme de barrage contre le temps mou, le temps moche, le temps émietté. »
En tant que créateur, j’ai eu plusieurs fois, et même souvent, la sensation d’un fanal allumé sur une autre bateau, celui du collègue averti, au creux du brouillard, des ténèbres, touché alors aux joies de l’empathie, de la sympathie :
« Ecrire long, c’est aussi une façon de marathon où toutes les qualités de l’écrivain sont requises : sa capacité technique à scénariser son récit, la construction des personnages, l’écho de l’époque, l’inscription d’un sous-texte, ample et généreux, un style aux multiples changements de vitesses. » ;
« Aimer la lecture…et les livres, s’en faire le berceau d’une vie jusqu’à son lit de mort, est une façon de tenir Fort Alamo contre les armées mexicaines du cynisme, de la vulgarité des rapports, de la grossièreté morale, des confusions de tous genres, des velléités de pacotille et des courages en papier doré de la politique estropiée par la peopolisation. »
Daniel Simon compare ici les lecteurs (et, plus loin, les auteurs) à des résistants, lui qui rechigne pourtant, habituellement, aux positions héroïques des acteurs du livre, arguant à raison, mais pas tout à fait, d’une disproportion entre les actes ou dangers celés derrière un fauteuil et les misères du monde réel.
Plus loin Daniel Simon creuse encore l’image Alamo, lyrique :
« Alors, nous, à Alamo, on regarde l’horizon et on se dit qu’on ne nous aura pas comme ça. On prend son temps, on se (re)fait des amis, on apprend à relire, on murmure un texte pour soi, tellement c’est beau et qu’on voudrait aussi l’entendre de l’extérieur de soi. »
Daniel Simon rejoint une métaphore qui nous est très chère, celle des flambeaux au milieu des ténèbres, en tout temps et à toute époque, qui brandissent l’étendard de l’espoir, préservent en une réserve comme qui dirait secrète, ou trop peu fréquentée disons, la survivance du Bien, du Bon, du Beau :
« Tout va bien. Il paraît que des Alamo un peu partout s’organisent, sans les corps intermédiaires de la Culture, eux, ils ont depuis longtemps rejoint l’armée mexicaine… »
Un combat aux résonances actuelles, quand on se réunit pour débattre du sort du livre en FWB, quand les politiques flamands songent soudain à détruire l’appui à la culture, à l’identité que nous envions à nos voisins et compatriotes les plus exotiques.
Daniel Simon, lucide et sans doute parfois amer, ose discriminer le bon grain de l’ivraie. Tantôt, à la manière d’un Eric Allard (Les écrivains nuisent à la littérature) : « (…) le plus curieux, c’est cette façon, à peine un texte est-il paru, de se présenter comme écrivain. » Tantôt nous désignant la voie : « Quittons les vrais purs menteurs et les vrais sincères faux-culs pour aller vers les hommes incertains et qui doutent. »
Notre art est interrogé :
« A quoi distingue-t-on toute décadence littéraire ? A ce que la vie n’anime plus l’ensemble. Le mot devient souverain et fait irruption hors de la phrase, la phrase déborde et obscurcit le sens de la page, la page prend vie au détriment de l’ensemble : le tout ne forme plus un tout. »
C’est du Nietzsche (Le cas Wagner) et pas du Simon, mais la citation est ô combien heureuse ! Elle illustre notre conception du roman. Se dégager du détail mesquin pour s’ouvrir de grands horizons et d’amples perspectives. Elle met en évidence le danger d’une focalisation sur l’outil ou une information partielle au détriment de l’objectif, de la substance, du tableau complet.
Oui, l’écrivain est un frère, qui dit ceci : « Il y a deux sortes de lecteurs. Il me semble qu’il n’y en a que deux : les lecteurs qui vont vers ce qu’ils connaissent déjà et trouvent dans cette reconnaissance des signes, des sentiments des situations, des personnages, une sorte de consolation une forme de soutien ; et ceux qui picorent un grain encore inconnu, quitte à se piquer le gosier… »
Je diviserais la première catégorie entre les chercheurs de sympathie (et d’approfondissement du moi) et les auto-complaisants, qui ne souhaitent rien tant que de se voir conforter dans leurs certitudes, une tribu ô combien dangereuse, engluée dans le clanisme, l’égocentrisme et le narcissisme, la médiocrité. Daniel Simon semble rejoindre mon point de vue :
« Il existe des livres qui rendent des amours impossibles, qui nous forcent à reconnaître que si quelqu’un trouve plaisir dans cette littérature-là (ou aime les moules au chocolat, la langue basse des à peu-près, les passe que, à cause que, ou les vins en cannette…), pour nous, c’est foutu ! »
On terminera cette esquisse, avec une observation destinée à une élève d’atelier, Daniel y endosse des allures de Rilke s’adressant au jeune poète. Une vraie leçon de création, une initiation à sa mystique :
« Commencer un texte se passe souvent, que ce soit dans l’arrière-cour d’une longue préparation, de notes prises et projets, par une parole, une image, un dialogue qui font que, soudain, vous sortez de ce que vous prépariez, vous êtes surprise, vous devez profiter de cet étonnement, ne pas l’éteindre d’un effet, d’une secousse qui viendrait déranger cet instable moment que vous êtes en train de créer ; laissez- vous gagner par ce qui se creuse ou se déplie à l’intérieur de cet instant de début, le reste, la suite, viendront… »
Vous voilà mis en appétit ?
À déguster, comme un alcool fort ou un café rare, par petites gorgées, que vous laissez se faufiler lentement en vous.