La télévision, la télévision surtout, écran gigantesque, un mur en mouvement, un puits de misère, une flaque d’images sans grâce, un état des lieux, un gage de pauvreté, la télévision encore, musique, téléphones portables, les jeux stridents du petit dernier, la jeune mère affalée devant l’écran, ses doigts masturbent son téléphone, le visage inerte, la journée se traîne, ça sent l’urine et la merde, le gamin crie, la musique le couvre, la mère s’aperçoit, le manipule, lui retire ses couches, le nettoie, le réemballe, le cajole, le remet dans sa poussette, replonge dans l’écran, le jeu du petit est programmé pour pousser des sons de klaxons toutes les trente secondes, des odeurs de cuisine flottent, il pleut, c’est le Nord, le vent siffle entre les châssis, la musique s’arrête, la grand-mère met un CD de chant choral religieux et chantonne en cadence, Dieu envahit la pièce de ses grâces de danseur, le klaxon retentit, le petit pleurniche, la mère bouge la tête comme une dinde horlogère de son écran portable au mur de publicités, la grand-mère retourne en cuisine, mamy est très jeune et tourne dans la marmite en roulant des hanches, la buée envahit les vitres, l’arrière-cour disparaît, le soir tombe, on dresse bellement la table, la maîtresse de maison apporte les plats, quelques compliments, elle est heureuse, elle appelle son gamin qui descend de sa chambre, il fonce vers l’écran, le foot commence, elle le rappelle, on va manger, il ne bouge pas, elle hausse le ton, la télévision reste imperturbable, le gamin obéit, on est tous à table, quelques lieux communs, des phrases inachevées, bon appétit, c’est délicieux, on ne sait plus quoi dire alors on se ressert, non pas de vin, merci, on tourne la tête vers l’écran du fond entre les bouchées, c’est terrible l’avion écrasé, les massacres encore, le FN en tête, j’aimerais aller à Cuba, non pas de dessert, trop mangé moi, le petit ronronne, maman téléphone, mamy débarrasse, non laissez-moi faire, c’est mon travail, le gamin plonge sur le canapé devant le terrain vert comme un colorant qui coulerait du mur, la table est en ordre, mamy prend le petit dans ses bras, si délicatement, le berce et fait des papouilles, il marche malhabilement tenu par les mains sur la table en verre, mamy et lui s’entendent si bien, il rit, son visage ouvert comme un melon frais, elle le berce, le bécote, le lèchote, le serre, il est magnifique, dit-elle en le câjolant, je l’aime tellement, je ne sais pas pourquoi je suis triste en le regardant, si triste, je ne comprends pas.