Florian PÂQUE, Dans le silence des paumes, Lansman, 2025, 72 p., 12 €, ISBN : 978-2-8071-0442-6
Dans le silence des paumes, la dernière pièce en date de Florian Pâque (qui a déjà publié plusieurs textes chez le même éditeur) propose un croisement de séquences documentaires et de passages proprement oniriques, et d’une haute densité émotionnelle.
Faire parler les invisibles a, depuis longtemps, taraudé les dramaturges de toutes origines : Tchekhov, Molière avec sa permanence des valets, Brecht et Mère Courage, et, il n’y a pas si longtemps (années 1970) Jean Louvet qui donna voix la première fois à la figure de l’ouvrier enfoui dans la classe ouvrière, …
Les invisibles, aujourd’hui, ce sont ceux qui pédalent pour porter une pizza à l’autre bout de la ville, celles et ceux qui se lèvent à 4h pour nettoyer les entreprises où la classe moyenne commencera à 8h, c’est une grande partie du personnel de la Santé et de toutes celles et ceux qui sont femmes ou hommes d’ouvrage dans les institutions de toutes sortes. Le nombre masque toujours le singulier et on sait que l’usage du terme de peuple aujourd’hui ne représente plus ce qu’il prétend annoncer. La masse, le global, l’enchevêtrement infini des tics, tocs et addictions multiples du monde contemporain font de l’invisibilité le centre tragique des narcissismes de pacotille…
Florian Pâque est dramaturge, metteur en scène, comédien et s’est ici immergé, pour l’écriture de cette pièce, dans la rencontre d’habitantes et habitants de la région de Sevran où il a récolté de nombreux témoignages à propos de ces vies chevillées à la production du monde, invisibilisées la plupart du temps. La confrontation des témoignages et des séquences dramatiques originales provoque une forme de dialectique roborative, génératrice d’émotion et de dévoilement.
La pièce se construit dans les intermittences du cœur et de la rage, de la poésie et de la critique sociale. L’auteur a choisi une structure classique : une femme, Maryse, au soir de sa vie, est entourée de ses trois enfants pour partager ces derniers instants. Lélia, Colin et Florent, le demi-frère, vont jouer les épisodes du rude combat de vie de leur mère.
Tout au long du récit, des réminiscences, des fantasmes, des déclarations et des murmures glissent dans la bouche des enfants qui incarnent peu à peu cette longue histoire de vie bousculée régulièrement par de vrais témoignages.
Florian Pâque a écrit sa pièce à destination d’un théâtre en appartement, dans la région de Sevran d’abord, et qui pourrait évidemment trouver place sur une scène par la suite. Les alternances de séquences de températures dramatiques diverses et de tension toujours soutenue, sont maitrisées et passent du politique à l’intime dans une fluidité remarquable.
L’humour, qui est souvent l’ouvre-boite de la pensée, est évidemment présent et précieux…
Thierry : Ils m’ont crié sur le chantier : « Thierry! Thierry! Ta femme a perdu les eaux! Ta femme a perdu les eaux! » Moi j’avais les mains dans le plâtre. « Thierry! Thierry! », qu’ils gueulaient. Mais j’ai pas compris de suite, j’entendais: « Ta femme a perdu les os. Mais quels os que ma femme a perdus? Les os du chien? Les os du chat ? je comprends pas, c’est quels os que ma femme a perdus ? »
Daniel Simon
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