Une question qui me fut posée un jour et dont je célèbre encore la mémoire de l'auteure...
- Monsieur, le style, on le met quand? Pendant ou après ?
Cette question semble incongrue et pourtant...
Cette auteure apprentie s'inquiétait apparemment naïvement d'une question essentielle puisqu'elle ne pensait pas qu'écrire avec ses "tripes" produirait un "effet vérité" transmue à l'instant en beauté dans ce temps de l'affaissement du "ressenti" accompagné des symptômes discrets d'un refroidissement. Frissons, légère fièvre, éternuements émotionnels et larmes au bord des cils sont souvent la manière d'exprimer l'absence de matière.
Cette dame savait que ça se jouait comme la roulette russe, le style, ca ne marchait pas par prévision, fallait y aller de l'oreille mais surtout de l'intérieur, comme un premier amour qui serait l'appui d'une vie. En douce, sans se regarder dans le miroir, à l'affût, sans trop guetter la bête.
La débusquer dans son terrier, sous le texte, encore crottée, et enfoncer ses mains sans craindre les morsures.
Dans les "Récits de la Kolima", Chamalov (1907-1982), gek dans les camps soviétiques sous plusieurs régimes, écrit dans ses textes combien la condition de l'homme est d'être soumis, empêché, enfermé et appauvri de tout.
Pour écrire ce livre j'ai employé une langue très rudimentaire, celle qui correspondait à ce monde (du goulag) et nous avions si peu de choses, souligne-t-il.
Ce qui me frappe aujourd'hui ici, en Occident, c'est ce trop qui produit autant de vide dans une langue de la narration orale. Celle qui ne dit que ce qui peut se dire dans le bruissement de la conversation ou de la confession, c'est du pareil au même de l'attendu.
L'écrit se fait rare dans l'archipel des livres, tout se raconte comme au téléphone ou au bistrot, la pâte n'a plus le temps de lever, et des textes-pizzas se grignotent ou dévorent avec un égal appétit.
Il faut de tout pour faire un monde, certes, mais il se ressemble furieusement sous toutes les coutures.