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Les (en)jeux de la mélancolie

Yves-William DELZENNE, C’est ainsi que disparaît un royaume, Samsa, 2024, 258 p., 24 €, ISBN : 978-2-87593-547-2

delzenne c'est ainsi que disparait un royaume« Dans des temps anciens, dans un pays oublié dont certains nieront même l’existence, j’allai à la découverte de Ghandol, où je n’étais arrivé que de quelques semaines« .

Dans son dernier roman, C’est ainsi que disparaît un royaume, Yves-William Delzenne déploie une forme de traversée philosophique mais aussi esthétique et politique d’un paysage – l’aventure de l’esprit – où , à travers une multitude de personnages issus de territoires imaginaires (si peu…) on assiste à la configuration et aux obsessions que l’on peut retrouver dans la plupart des états de notre monde.

Un certain Eric Olsen ouvre le bal des péripéties et nous allons suivre, au gré de ses rencontres souhaitées ou forcées, l’engloutissement dans le néant des apparences et des bienséances de la fin d’une époque aux bienveillance factices.

– C’est un pays médiéval, absolument médiéval! éclata son Excellence; s’ils le pouvaient, ils se couperaient les uns les autres en morceaux comme le firent leurs ancêtres. Le gouvernement va tomber, une fois de plus. Ils devront encore se traîner au pied du Premier ministre. Le roi lui-même va y user ses pantalons.

Bien sûr on peut lire, presque à découvert, la mise en abyme d’un pays, la Belgique, qui n’est en fait que l’artefact d’un monde de compositions et de négociations qui voit venir le temps possible de la décomposition.

Ce livre flamboyant fait aussi du secret et des mécaniques discrètes qui sont les ressorts des civilisations une troublante épistémologie romanesque de l’Occident. Alors que nous semblons nous noyer dans les fausses transparences et dans les doubles langages de la bienséance humanitaire, Yves-William Delzenne ne regarde pas ce monde comme un témoin éloigné mais bien comme un acteur profondément engagé dans les subtils mécanismes qui font non pas société mais civilisation.

Les questions des migrations, des dictatures, des destructions systématiques de ce qui semblait être le monde passent dans le filtre de ces destins saccagés et vies sacrifiées, mais aussi, dans la persistance d’un espoir dans la rémanence du beau et de la justice,  ce désir qui fore les murailles apparemment les plus compactes.

Yves-William Delzenne n’a eu de cesse, dans ses romans et poèmes, de chanter la puissance du détail dans la construction de la beauté. Ce n’est ni la fonction simplifiée, ni le dépouillement absolu qui font, pour lui, la matière de notre humanité, mais l’irradiation de ces mêmes détails qui ne sont pas ornements mais texture intime.

À l’entame du roman, l’auteur laisse affleurer, sans la nommer, les ombres d’une capitale internationale, Bruxelles, qui semble de plus en plus se définir comme la Pologne de l’Ubu roi de Jarry, c’est-à-dire « nulle part ».

Cette ville ne semblait pas s’aimer. […] sa population était le plus souvent affairée ou, au contraire, se baguenaudant sans désir apparent, honteuse de sa vacuité, il est vrai assez rare parce que cachée ; si bien que ma déambulation me parut devoir trouver un but pour ne pas attirer sur moi une curiosité déplaisante.

C’est ainsi que disparaît un royaume nous laisse souvent déambuler dans le temps de la méditation sur les circonstances des cycles de croissance et de déclin des mondes. La langue de l’auteur, subtile et précise, piquée des détails qui font mémoire et réel, nous tient en alerte tout au long de ce roman qui clôture un cycle (depuis Un amour de fin du monde (Actes-Sud)) où le temps de la durée se déplie dans les soubresauts de sa disparition. Magistral.

Daniel Simon

Plus d’information

https://le-carnet-et-les-instants.net/2024/09/04/delzenne-c-est-ainsi-que-disparait-un-royaume/#more-75630

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