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Roulez, jeunesse !

Florian PÂQUE, Fourmi(s), Lansman, 2023, 52 p., 11 €, ISBN : 9782807103870

paques fourmi(s)Après Étienne A,  Sisyphes, Florian Pâque poursuit son travail de dramaturge et d’homme de théâtre (mise en scène, jeu) en proposant cette fois une sorte de prolongement, ou plutôt d’écho, aux deux précédentes pièces à propos des conditions de travail de l’époque de l’ubérisation.

Après un travail documentaire, des interviews de travailleuses et de travailleurs des plateformes Uber et cie, le dramaturge a écrit deux versions de ce texte ; une destinée à des représentations dans tous les lieux non-théâtraux et celle-ci, publiée récemment, et qui s’est fait bellement remarquée au festival d’Avignon. Elle livre une réflexion plus complexe sur c’est tendance apparue il y a une dizaine d’années qui est de faire miroiter aux jeunes, souvent sans emploi ou sans formation ; une sorte de liberté économique, une liberté d’entrepreneur indépendant (mais aussi sans protection sociale et sans les conditions de ce qu’on pourrait attendre naïvement en matière de dignité et de respect des droits des travailleurs). « Mais que diable allait-il faire à cette galère ? », écrit Molière dans Les fourberies de Scapin.

Fourmi(s) n’est pas une pièce documentaire mais une fiction à partir de cette nouvelle réalité du travail. Nous parlons ici de l’Europe, car évidemment ces formes d’exploitations existent dans la plupart des régions du monde depuis longtemps.  

Dans ce théâtre politique et militant (dixit l’auteur) les personnages se retrouvent dans une sorte de déshérence nouvelle qui est de croire en une liberté entière et enivrante sur le marché du travail. Les règlements et les lois en cette matière sont en train de bouger mais néanmoins, ce que nous rappelle et développe Florian Pâque, c’est l’illusion nouvelle selon laquelle Dieu est un algorithme.

Deux amis montent sur la grande Tour, celle qui domine le paysage urbain à l’infini où grouillent ce que l’auteur appelle les fourmis. Cette image des fourmis est une allégorie ancienne du monde du travail, mais ici, elle laisse entendre le désenchantement primaire de ces jeunes travailleurs qui se rêvent toujours dans un ailleurs où ils pourront amplement devenir des nouveaux riches, des consommateurs de luxe et pourquoi pas un jour des employeurs eux-mêmes…

C’est ainsi qu’Antoine rêve de s’envoler à Patong en Thaïlande et, pour réaliser son rêve de Nouveau Monde, décide de rejoindre « la Plateforme », celle qui annonce inlassablement monts et merveilles à ces jeunes pétris de frustration et d’illusion. Nous connaissons tous cette nouvelle consommation qui touche une partie de la population qui se fait livrer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ce qui est disponible sur le Marché pour satisfaire une sorte de paresse de civilisation. « La Plateforme », ne cesse de raviver le désir d’un accomplissement élémentaire mais qui passe évidemment par une nouvelle servitude volontaire.

Florian Pâque fait aussi intervenir l’ami, Jérémy, qui interroge et manifeste son épuisement moral plus que physique alors qu’ils sont en train de monter jusqu’au sommet de la grande Tour. Cette Tour devient une sorte d’hallucination d’une civilisation dévoreuse et sans mémoire.

De là-haut ils regardent les fourmis, s’interrogent à propos de la singularité de chacune et chacun en comprenant d’emblée que les fourmis n’ont pas d’identité mais forment une masse indistincte et tragique.

Un texte en forme de coup de poing ou de coup de pied bienvenu dans… la fourmilière !

Daniel Simon

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