Marc MEGANCK, La lunette, F. Deville, coll. « Œuvres au jaune », 2023, 78 p., 9 €, ISBN : 978-2-87599-060-0
Marc Meganck pratique une littérature à différentes vitesses (histoire, découvertes, policier, roman, …) et vient de nous offrir un objet étrange et merveilleux, triste et joyeux, mélancolique et d’une rare énergie, La lunette, micro-roman. Nous ne vous dévoilerons pas ici de quelle lunette il s’agit…
Dans la littérature et l’édition, les genres se mêlent facilement, sont plus « fluides » que dans le discours social : micro-roman et pourquoi pas nouvelle (comme les Anglo-Saxons, l’auraient probablement nommée en short-story) ? Mais, n’y eut-il pas récemment des « romans à nouvelles », des ciné-romans, des ciné ou vidéo-poèmes, des autofictions qui ne sont pas des romans autobiographiques… ? Les genres se mêlent, comme dans tous les lieux de notre psyché et du réel sociétal.
En cette matière, l’auteur a visé juste et fort, bellement mené son roman tendu d’une forte densité poétique caracolant dans les chemins entrecroisés des séismes intimes d’un parfait inadapté social et les rêveries d’une sorte d’Icare de province, timide, effrayé par le monde, surpuissant dans son métier d’ingénieur spécialisé dans la conception de modèles réduits d’avions monomoteurs ou planeurs. Déjà, de quel métier fantasque l’auteur a-t-il gratifié Renan Falk, son personnage œdipien et « planqué » sur le Haut Plateau où il vit avec sa mère, à encore trente-cinq ans. On le suit dans son entreprise Aéro-Consult où il brille en parlant de finesse (caractéristique aérodynamique définie comme le rapport entre la portance et la traînée) avec passion et inspiration. Mais un jour la raison bascule, il rencontre Lucie, entreprend une relation, difficilement et fébrilement à la fois, la mère décède, le couple fusionnel avec la mère se rompt et Lucie prend le relais. Pas pour longtemps et Renan se retrouve à nouveau seul, accompagné d’un seul ami, Morris.
L’Africaine se tenait debout, droite devant lui, bloquant le passage. La place qu’elle venait de quitter était encore libre et probablement chaude. À deux mètres, un homme en costume avait visiblement les mêmes vues que Renan sur le siège. La femme sortit de justesse du wagon avant que les portes ne se referment. Plus rapide que Renan, l’homme en costume s’assit sur le siège, un petit sourire de satisfaction aux lèvres. «Tiède, il doit être tiède de toute manière », se dit Renan pour se réconforter. À peine s’était-il remis d’avoir été devancé par l’homme en costume, qu’une place se libéra juste en face. D’un bond peu élégant, il se jeta dessus. Il ne fut pas déçu.
Ce qui fait de ce roman aussi une parade autour de la mort… si froide, c’est l’obsession de Renan dans sa quête de chaleur humaine. En matière de chaleur humaine, nous le savons, les sièges préchauffés par la présence des autres sont toujours des places confortables à convoiter, le cerveau reptilien est ravi, la chaleur envahit le bassin et remonte un temps dans le corps tout entier, le cœur est rassuré, Renan est alors submergé de bonheur. Mais ces bonheurs sont de courtes durées et il faut toujours veiller et scruter le terrain d’aventures où nous allons. Renan veille au grain et ne se laisse pas abattre par la trivialité ou les difficultés.
Roman court, La lunette, est aussi un roman infini dans ses développements imaginaires qui nous rappelle, si nécessaire, que la littérature est cet instrument qui nous permet d’atteindre le point aveugle de notre rétine où seule la fiction nous laisse entrevoir une autre face du monde.
Daniel Simon
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