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Un extrait d'un récit en cours de finition "La saison des sucres" (Entre Bruxelles et Marrakech)

L’homme n’est pas encore mort, il est prostré dans des contrées de pluie, il avance lentement déjà pour rejoindre l’humidité qui le poisse tout entier, il glisse vers le sombre bonheur de disparaître. L’homme garde l’oreille fine, il entend plus qu’il n’a jamais entendu le monde vibrer tout autour de lui. Il se dit, c’est drôle, un homme qui va mourir, ça s’accroche plus qu’il n’a vécu. Il écoute comme il peut ce monde qui coule lentement dans des chemins bleus, dans des allées froides. Il écoute intensément ce monde qui ne laisse plus rien paraître d’inutile, il capte ce qu’il s’évertuait à ne pas entendre depuis si longtemps. Il enregistre cette phase : « Le vent qui passe là où il n’avait pas prévu et emporte ce qu’il trouve au hasard revient, dans une dernière boucle, toujours souffler sur ce qu’il semblait oublier. »

Mais plus tard, les réflexes s’estompent, l’œil blanchit. Il arrache ce qui s’est si longtemps livré au bonheur de la contemplation. Il brise alors ce qui ne veut pas fléchir. Il repasse et se livre à un carnage définitif. Le vent s’apaise soudain, il tombe, il disparaît et les hommes évoquent longtemps son veule enthousiasme de cyclope. L’homme entend donc ce qu’il ne voulait pas percevoir en ce dernier instant, il veille sur le désert et entrevoit enfin la fin de ce tympan de solitude.

Le temps n’a que faire de cet homme. Le temps n’a plus besoin de cet homme car cet homme n’est plus à même de dresser des barrages et de forer des puits. Alors il renifle ce corps spongieux, tout en lambeaux et l’abandonne. Et l’homme respire plus légèrement, il sent enfin sa poitrine se délivrer d’une lourde tâche. Il expulse lentement les dernières vapeurs qui circulent en lui, il rend à l’atmosphère commune sa part d’éther. Il suffoque, il veut pleurer, appeler, ses yeux gonflent, ses veines durcissent, un poignant sentiment de détresse le rapproche à l’instant de tous les autres hommes. Il sait qu’il fait ici sa part du travail. Qu’il va rétrécir bientôt pour mieux se dilater plus tard. Il sait que son corps se fragmente déjà. Qu’il perd peu à peu l’ordre de ses usages et fonctions. Qu’il n’ensemencera plus rien, hormis l’infini terreau qui le glace maintenant tout entier.

Il n’y avait rien d’exceptionnel, rien de vertigineux, rien d’extravagant dans la mort de cet homme, il n’y avait que de l’usure qui arrivait à terme. Et il vivait légèrement quelque chose de différent de la haine primordiale qui l’habitait jusque là. Il trempait son corps dans la nuit, comme s’il avait voulu s’en imbiber afin de disparaître avec elle dans le jour qui n’allait pas tarder à pousser la corne. Bien sûr il était au fond de quelque chose et lui croyait qu’il était au début de cette chose.

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