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Vers l’émerveillement premier

(à propos de la musique de Tiên Nguyen)

 

Dès les premières notes, le temps est distendu, une ligne mélodique à peine esquissée remontera régulièrement des abysses vers les cimes musicales sous la forme d’anamorphoses sonores où le compositeur sculpte le temps, le temps immédiat, le temps de l’écoute, le temps de l’énonciation, le temps de l’instrument, le temps de la vibration, et cette métamorphose peut prendre tout autant des formes opératiques que celles des chuchotements mélodiques.

 

Tiên Nguyen compose une musique pour les aveugles que nous sommes, la plupart du temps frappés de la cécité des profondeurs, des subtilités intérieures et ces vagues musicales nous ramènent à l’instant à l’infini de nos plaines intérieures, celles où un seul accord suffit à ouvrir la voie.

 

Nous sommes de plus en plus devant une sorte de film muet : les discours s'annulent, les images s'effacent les unes les autres et la musique de Tiên Nguyen se pose comme une sorte de variation sur cette musique pour films muets des années 30 que le cinéma offrait à nos yeux surpris de tant d’intrigante effervescence.

 

Les sculptures sonore du compositeur, les sifflements du fouet d’un instrument, qui, d’un seul coup fait tomber sur le dos du temps les stridences ou le souffle, comme si le chuchotement de la nourrice aux nouveau-nés que nous sommes ne cessait de nous consoler d’être au monde.

 

Le rôle et la fonction, peut-être, de la musique de Tiên Nguyen est de nous accompagner dans cette plongée au centre des acouphènes primordiaux du monde qui a pris place en nous. Sa musique nous effleure à peine et nous savons que nous entrons à l’instant dans la dimension d’une infinie méditation sur la tragédie du temps et la beauté qui se fraye un chemin malgré tout jusqu’à nous

 

Cette beauté évoque l'enfance, une enfance éperdument lucide, une forme de pensée magique qui nous saisirait jusqu’au plus profond. C’est le miracle de la musique : de ne pas être raisonnable même si nous le savons, la composition a fort à voir avec les mathématiques… Mais elle produit un effet d’envoûtement, un entraînement dans un univers débarrassé des scories du discours.

 

Pas de rhétorique dans la musique de Tiên Nguyen mais une poétique, une façon de créer une forme de versification musicale du monde et, évidemment, ça bouleverse l’oreille, ça bouleverse le cœur, ça bouleverse le corps tout entier.

 

La magie de la musique est de nous atteindre malgré nous, souvent sans notre consentement, et nous savons à quel point cette fine mouche musicale peut se poser là où les autres arts ont tant de mal à accéder.

 

La beauté des surgissements croisés avec les profondes respirations des compositions de Tiên Nguyen fait naître en nous une forme de consolation qui n’est pas très éloignée de l’émerveillement premier.

 

Daniel Simon

Septembre 2022

http://www.opustien.com/en_US/

Tiên NGUYEN : né en 1952, à Saigon (Vietnam). Etudes à l'Ecole Nationale des Arts de Saigon et au Conservatoire Royal de Musique de Liège (Belgique). Depuis 1980, travaille comme auteur-compositeur, interprète et compositeur de bandes sonores pour le cinéma, le ballet et le théâtre

Les différentes influences musicales de Tiên NGUYEN :

Musique traditionnelle vietnamienne, musique du monde, musique classique occidentale

(Beethoven, Ravel, Ligeti,…), jazz (Thelonious Monk, Chet Baker, Miles Davis,…), pop-rock et chanson française.

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