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https://le-carnet-et-les-instants.net/2022/09/27/pons-apnee-une-histoire-du-surendettement/

Rémi PONS, Apnée. Une histoire du surendettement, Lansman, 2022, 56 p., 11 €, ISBN : 9782807103528

pons apnee une histoire du surendettementLors de la journée internationale de commémoration des victimes de l’esclavage (25 mars), un intellectuel africain souligna avec une pertinence terrible : « Vous pleurez aujourd’hui l’esclavage et demandez pardon mais un jour vous demanderez pardon pour  la Dette… ».

Car évidemment la dette et le surendettement qui appauvrit concernent autant les États que les individus qui les composent. Forme de servitude internationale, post-colonialisme en filigrane ?  Chacun en décidera mais dans tous les cas, ce qui advient est un appauvrissement attelé à une servitude morale, une aliénation double donc…

Loin de nous le fait de nier l’importance et la nécessité du recours à des professionnels sociaux lors de dérapages de vie mais très vite la dépendance et l’invisibilité sociales qui en découlent interrogent. Depuis la fin des années 1940, en Occident, le crédit à la consommation a été l’arme de la relance économique et est entré tant et tant dans les mœurs que l’argent semble aujourd’hui une « hypothèse », sachant que sa disparition physique en marche accélère encore ce mouvement…

Apnée de Rémi Pons traite vigoureusement cette question, en une pièce–documentaire au titre très inspiré.

J’écris, je mets en scène pour le théâtre, je réalise et j’enregistre pour la radio. J’essaie d’écrire les contradictions fécondes dans lesquelles les travailleur·euses social·es sont pris·es et à travers elleux, je tente d’établir une chronique de notre rapport à l’aide sociale.

Rémi Pons et Esquifs (la Compagnie) entremêlent des témoignages, des fictions, des échos de l’actualité, des mises en abyme… Ils composent autant une démarche documentaire qu’une fable et une écriture dramatique qui fait penser au “docu-fiction” au cinéma.

Albert Desteen, le personnage pilote de la pièce sera suivi tout au long de son calvaire annoncé dans les entrelacs des interventions des autres personnages, médiateur et médiatrice de dettes, personnes à bout de souffle, dans l’aliénation mentale et morale… depuis sa première dette jusqu’au moment où, treize ans, plus tard, il sort enfin la tête de l’eau.

Le  parcours est hallucinant et les sujets hallucinés.

Bilal – Tu veux que je te dise, on nous vend du rêve. On vit dans un monde qui passe son temps à te faire croire que tu possèdes plein de choses, que tu as ta vie en main, avec ta maison, avec ta voiture, avec tes meubles, avec ton chien, avec ta nourriture même, tout, tout, tout, tu crois que t’as tout en main, que c’est à toi, que tu peux compter dessus. Y a rien de vrai là-dedans. Illusion pure. Tu vois, moi, j’étais routier. Chauffeur poids lourd. C’est clair non ? Poids lourd. 44 tonnes, c’est quand même tangible, hein… Des dizaines de tonnes de marchandises. Un métier bien terre à terre. (…) Rien vu venir. Bien au contraire. Moi je croyais être le roi du pétrole, tu vois. Tout m’a filé entre les doigts. Voilà, un bête accident, ça arrive. Et ben, du jour au lendemain, tout ce que j’avais, tout ce que je pensais avoir, poussière. Du vent. C’est du vent, tout ça. Du vent.

« La provocation est une manière de remettre la réalité sur pied », écrivait Bertolt Brecht à propos du théâtre didactique et cette façon de faire théâtre crée également ce phénomène de “distanciation” que Rémi Pons développe, mettant en scène des comédiennes et comédiens comme personnages.

L’identification aux personnages se fait plutôt par le haut, la raison, plus que par l’émotion immédiate. C’est une sorte de “jeu de l’oie” de la précarité, de l’appauvrissement et les paroles des personnages (issu d’interviews, de rencontres etc…) plongent le lecteur dans un autre type d’émotion, celle de la revitalisation de la question et du dévoilement de la précarité systémique, consolidée par une écriture qui fait mouche.

Daniel Simon

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