René BIZAC, Comme une lance, Lansman, 2021, 60 p., 11 €, ISBN : 9782807103320
Comme une lance de René Bizac s’offre comme une étrange pièce dramatique onirique dotée d’une langue souvent proche de l’hyperréalisme.
La mère de l’auteur est décédée à l’âge de 92 ans et c’est à un hommage profond et lucide que se livre l’auteur dans cette pièce toute en subtilité dialogique.
Une liste, celle des affaires de la mère, jusqu’au plus trivial, et puis, « Voilà la chambre est vide« .
On pense à cette merveille de Lydia Flem Comment j’ai vidé la maison de mes parents, où elle visitait cette vastitude de différence entre un legs et un héritage. La transmission reste la grande question et René Bizac la traite sur scène en mettant en rapport deux personnages, Elle et Lui.
Sa mère lui a écrit une lettre. Il ne l’a pas ouverte et avec Elle tente de reconstituer la vie, la présence, l’existence, de cette mère décédée mais pas encore disparue.
Elle et Lui se confrontent, refigurent ce Personnage titanesque et secret.
On ne connaît vraiment sa mère, probablement, que lorsqu’elle a disparu. La disparition permet de réfléchir, de pleurer et parfois de ne pas pardonner mais Lui et Elle sont dotés d’assez d’humour que pour faire de ce drame commun et toujours vertigineux, une comédie, une balade dans le temps et les fragments de mémoire. Il s’agira de recoudre cette épopée de la vie dans un semblant de réel, souvent comme un patchwork, dans la fidélité la plus énigmatique aux souvenirs réciproques.
Les répliques cinglent, rebondissent, les émotions affleurent puis soudain s’affirment.
Lui: Maman je ne comprends pas
Tu as toujours eu une voix grave
Une belle voix grave
Et tu pars dans les aigus
Ton diaphragme!
Elle: Oh là là
Qu’est-ce que tu es chiant!
Lui: Tu n’es plus une petite fille quand même!
Elle: Tu lui disais vraiment ça?
Reconstituer la présence de l’ogresse-pélican qui, une fois disparue, rend libre, mais de quoi ? Elle et Lui grignotent leur part de mère, creusent en rebonds les questions laissées en suspens.
Une date, 1977, frappe la mémoire qui tente de se reconstituer: cette mère aurait eu rendez-vous à l’hôtel Métropole avec une autre femme…
Mystère de cette effraction dans la continuité apparente de la mère qui se déplie littéralement de secrets en souffrances (l’hôpital et ses rapports avec l’Institution médicale) mais Elle et Lui, se jouent, en jouent, transgressent, du rire aux larmes contenues dans cette belle pièce sensible sur le fracas de la mort maternelle.
Soudain, elle semble apparaître, elle est là, elle lui répond, dans la bouche de Elle, elle se raconte, fait contre-pied et contrepoint. L’incroyable s’est produit.
Et tout se dénoue dans une autre dimension, les vérités apparentes se tricotent un semblant de vérité, avec la sensible ironie des vraies rencontres.
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Daniel Simon