Anne-Marie DERÈSE, La Belle me hante, Préface d’Anne-Michèle Hamesse, Illustrations de Michel Cliquet, Coudrier, 2020, 111 p., 18 €, ISBN : 978-2-3905-2010-8
La féminité est, plus que jamais, le creuset de la plupart des livres qui paraissent aujourd’hui…Une féminité transfuge, abusée, déclarée, revendiquée, guerrière… Les études de genre veulent rebattre les cartes des identités, les lignes d’horizon de notre humanité.
La poésie enchérit chaque jour là aussi, dans ces zones de trouble et de quête. Aux éditions Le Coudrier, c’est une des matières premières des autrices et auteurs maison.
La dernier livre d’Anne-Marie Derèse, La Belle me hante développe avec subtilité et sensualité la figure de la Belle et de la Bête, la Belle dans la Bête ou la Bête dans la Belle, de toutes les façons dans des feulements ou des aveux, des déclarations ou des souffles, c’est la femme, sa beauté, sa sauvage inquiétude qui nous trouble …
Anne-Michèle Hamesse préface avec le même enthousiasme ardent cet opus d’amour et de blessures.
Elle nous hante Anne-Marie, la magicienne noire, ses paroles de feu, ses délires, son vertige en elle et à jamais, elle nous transporte vers ces pays magiques et indicibles, ceux où la poésie fait escale un jour, ou peut-être pour toujours, en un exil volontaire.
Les photographies de Michel Cliquet accompagnent somptueusement le texte : corps féminins, de voiles et de formes dans un brouillard d’apaisement et d’éloignement.
Anne-Marie Derèse est née à Franière (province de Namur) et a publié une bonne quinzaine de livres pour lesquels elle a été honorée de plusieurs prix d’importance. Elle a suivi une formation artistique (voix, interprétation mais aussi peinture) et n’a cessé de creuser ces endroits secrets et partagés que nous, portons dans notre “intranquillité” commune.
Tu l’aimes / comme la première femme / sortie de ta côte / ou de ta bouche, ou de ta cuisse / pauvre Jupiter brisé par les guerres. / Tes vertèbres se referment sur une chair ouatée. / Une ombre ténébreuse / ne dévoile rien d’une grotte virginale, ta cage thoracique / adoucit ses barreaux.
[…]
Tu voudrais ne prendre que ses lèvres, sa bouche, cette caverne humide / habitée d’un monstre si doux. / Tu voudrais qu’elle soit vide, un ciboire pour ta soif. / Mais la ruche est son domaine, / elle est possédée, remplie / d’œufs à déborder le vase.
Cette femme, ces femmes sont rebelles, ensauvagées, érotiques, carnassières, somptueuses et fières. L’écriture d’Anne-Marie Derèse mêle le lyrisme à la confidence, le chuchotement au cri. Le poète sait comment un vers souvent est plus résistant que la plus haute tour.
Elle est de celles qui sourient avec dans le regard / des éclats de pardon, / elle caresse d’un geste vif / des visages couturés. / Ses talons aiguilles, / ses seins sous le tablier / font naître un sang neuf. / Je la regarde avec fièvre, / cette déesse tombée dans les plaies pourries des hommes.
Livre d’hommage, livre de caresses et de dévoilements, ces poèmes à la scansion retenue et maîtrisée de bout en bout forment la voix intérieure d’un chant collectif, celui des femmes dans la diffraction de leurs infinies projections.
Daniel Simon
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