COMPAGNIE BUISSONNIÈRE, Brèche(s), Ceriser, 2020, 80 p., 11 €, ISBN : 9782872672257
« On peut faire du théâtre partout, même au théâtre. »
Augusto Boal
Louis, au public — Je m’appelle Louis. Je viens d’une bonne famille, j’ai fait des études, j’ai des amis, des projets, une copine, j’ai de la chance surtout. De bonnes cartes en main. Aujourd’hui, je vais en prison pour la première fois de ma vie. Je suis comédien-animateur et je vais faire du théâtre en milieu carcéral. J’y ai pensé toute la journée. On me l’a proposé et sans y réfléchir plus que ça, j’ai dit oui. Et là, sur le parking de la prison, dans ma voiture, j’ai peur. En fait, je suis partagé entre l’excitation et la peur de l’inconnu. Il y a des mecs violents là-dedans… J’y vais ou je n’y vais pas ?
Louis, le protagoniste visiteur-animateur nous parle et raconte, sous la forme d’un théâtre épique, cette vie dedans-dehors la prison. Il fait entrer dans son récit des détenus, des agents, des gardiens, bref la population carcérale.
L’écriture de Brèche(s) soulève de nombreuses questions, elle n’évite pas les paradoxes évidents, les questions existentielles, morales, le malaise, le sentiment d’échec, la joie. Cette partition théâtrale peut se lire aussi aisément qu’une prose découpée au rythme des apparitions. C’est un travail salutaire, manifestement, une goutte d’eau dans l’océan. Mais de quoi est donc fait l’océan ?
Depuis 10 ans déjà, la Compagnie Buissonnière développe des ateliers théâtre dans les prisons. Par ailleurs, elle anime des ateliers, des formations et initie des spectacles dans la Province de Namur. Puis, c’est le grand jeu des tournées, des expériences nouvelles. Alors, pourquoi aller en prison, qu’y faire, qu’espérer soulever, alimenter, reconnaître ?
Le théâtre-action est né d’une volonté d’intrusion, d’effraction dans les différentes couches du corps social depuis le début du genre. L’intervention en prison représente un travail de mise en miroir de la société.
Visiter une prison pourrait faire partie des activités parascolaires les plus pertinentes… Les bâtiments suffisent à raconter l’effroi, le bruit, les fermetures, le vide où aboutissent celles et ceux qui sont sortis du chemin ou qui ont saccagé des vies. Tout est mêlé, le désastre règne.
Surveiller, punir mais aussi éduquer, réinsérer, resocialiser.
La Compagnie Buissonnière, comme d’autres un peu partout dans le monde, tente de traduire ce qui pourra renouer le reclus avec lui-même et le monde.
Les ateliers de parole et de théâtre fondés sur l’écoute, la reformulation avec l’interlocuteur, sont le ferment d’une des formes de recréation et de délivrance.
La prison, nous le savons, en Belgique, reste un lieu de haute tension et soumis à une large critique institutionnelle. La Compagnie Buissonnière participe de cette aération morale des lieux de réclusion.
Daniel Simon