Tristan LEDOUX, Récidicules, Sans Escale, 2020, 158 p., 13 €, ISBN : 978-2-9564304-8-3
L’homme moderne est en train de se défaire du réel comme s’il ne restait de l’humanisme et de l’utopie universaliste que des sursauts, que l’Histoire (quand donc en sommes-nous sortis ?) était devenue l’actrice la plus impitoyable du faux.
Dans son livre récent, Récidicules, Tristan Ledoux, sans jamais trop appuyer sur les manettes des circonstances du récit, révèle dans des situations multiples et souvent insolites, des univers apparemment entièrement issus du langage et des pensées du narrateur, toujours en « je ».
Les impasses, les absurdités, avec lesquelles nous essayons de faire tenir debout le monde sont la matière de ces dix nouvelles écrites de main de maître. Le ton est toujours distancié, les événements se déplient dans une logique dérisoire et implacable.
« Ayant enseigné quelques années dans une école expérimentale pour adolescents caractériels, puis dans différents lycées et dans l’enseignement supérieur artistique, il a cherché à traduire, dans le langage de la fiction, certaines des interrogations fondamentales suscitées de près ou de loin par ces expériences. Né en Belgique en 1956, il vit et travaille actuellement à Bruxelles ».
L’éditeur nous rappelle que Tristan Ledoux a publié en 2008 un livre remarquable sur l’école, son métier d’enseignant et les paradigmes instables qui sont le cœur de l’Institution aujourd’hui (Impressions d’école, Bernard Gilson).
Dans Récidicules, Tristan Ledoux nous livre des nouvelles d’un monde où ses personnages, construits à partir d’un détail poussé à l’extrême, d’une question purgée de toute fallacieuse esquive, pourraient servir de viatique à nombre de lecteurs.
C’est comme si un professeur de philosophie soudain se mettait à observer le sol pour en relever les traces et, comme un pisteur des temps obscurs, prélevait çà et là quelques poussières qu’il observera avec la minutie d’un chercheur obstiné.
Dans une langue inventive et fine, l’auteur livre, dans une narration méditative, des situations qui nous interrogent et nous font sourire, autant par l’ironie sous-jacente que par la densité légère de chaque récit.
Toujours porté par une langue ferme, élégante, dépouillée de tout sentimentalisme qui semble le diktat littéraire du temps, Tristan Ledoux franchit quelques frontières où seule la fiction peut nous mener et nous laisser parfois dans un état d’effarement roboratif.
Écrire, pour Tristan Ledoux, semble s’assimiler à cette pratique péripatéticienne de la pensée-action philosophique. Nous allons, avec lui, dans les zones du poétique et de l’imaginaire sans jamais nous défaire du poids et de la matière des choses et des êtres.
Dans la nouvelle « Sans titre », l’auteur commence par cette réflexion, une des plus justes sur le sujet que nous avons pu lire jusqu’ici…
Trouver un titre – trouver LE titre – voilà qui n’est assurément pas une mince affaire. Plusieurs cas de figures peuvent se présenter. Souvent, on estime qu’il s’agit d’une enveloppe, d’une coquetterie que l’on dépose à titre décoratif sur l’essentiel. Je veux dire: sur ce que l’on pense être l’essentiel. Au stade de la recherche, quand l’essentiel reste à faire, le titre peut servir d’amorce ou de tremplin, comme le bon mot qui vient à l’esprit, tout à fait par hasard, au cours d’un rêve ou d’une promenade. Surgi inopinément, il fonctionne alors comme un appel, un signal de départ, une promesse de réalisation. Il peut aussi arriver que dans le feu de l’action, l’auteur en mal de titre estime demeurer provisoirement en suspens, que l’étincelle se produira au moment voulu, comme un geste de clôture, une touche finale, voire une apothéose. (…)
Saluons ici l’intelligence complice d’un écrivain au regard fraternel.
Daniel Simon
https://le-carnet-et-les-instants.net/2020/10/29/ledoux-recidicules/