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Une esthétique de l’épreuve : Charles Van Lerberghe

Charles VAN LERBERGHE, Les flaireurs suivi de Pan, Postface Paul Aron, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2019, 160 p., 9 €, ISBN : 978-2-87568-416-5

Les didascalies du théâtre symboliste s’offrent souvent comme des poèmes en prose et laissent entendre le drame à la lisière du mélodrame, comme si on regardait un film d’Eisenstein dans la musique de Wagner.

Les scènes font résonner les intimes liaisons entre l’existence de l’homme et la pression des éléments naturels qui s’exercent sur lui. On entre alors dans la vie magique, presque surnaturelle des protagonistes, sur la pointe des pieds, on s’assied alors dans l’ombre et on assiste aux chutes et aux épiphanies des personnages symbolistes. La princesse Maleine de Maeterlinck est là, avec nous, dans les coulisses des âmes.

La présente réédition de Les flaireurs et de Pan de Charles Van Lerberghe est un cadeau pour les amateurs du théâtre symboliste (avec Grégoire Leroy et Maurice Maeterlinck entre autres). La première éditions de ses pièces en 1889, dans La Wallonie, indique comme sous-titre : « Légende originale et drame en trois actes pour le théâtre des fantoches« .

Charles van Lerberghe (1861-1907), à la différence de ses célèbres collègues qui étaient plutôt hommes de Droit, a suivi des études de Lettres, et était féru de théâtre antique (il fait même intervenir un chœur dans Pan). C’est un écrivain majeur du symbolisme belge qui n’a pas connu de fortune littéraire à Paris et a donc été moins (re)connu que ses illustres pairs.

Les flaireurs est une courte pièce d’une dizaine de pages, une forme de « lever de rideau », ce qui condamna souvent cette pièce à être coincée entre deux autres œuvres dans les diverses mises en scène.  L’auteur y évoque l’effraction de la mort dans la chaumière pauvre où vivent une mère et sa fille qui ne porteront jamais de noms. Cette Voix parle une langue triviale, comique même alors que Mère et Fille en appellent à Dieu. On entend de loin des échos de cette supplique dans Tchekhov qui est leur contemporain.

Les deux pièces sont des coups de fusil dans l’oracle théâtral du temps qui s’amollissait dans des scènes alanguies. Charles van Lerberghe bouscule, en confrontant les personnages de Les flaireurs à une Mort à la langue populaire alors qu’elle pointe sa dague dans l’existence fragile de la Mère et de la Fille. Huis clos émouvant, fort, rapide, cruel comme une gorge tranchée.

Dans Pan, l’apparition d’un dieu païen précipite littéralement la vie coutumière d’un petit village dans le désordre et le chaos.  « …nommé Pan, soi-disant dieu, actuellement sans profession, domicilié dans cette commune », écrit l’auteur et c’est la satire sociale qui s’emballe : le curé, l’abbé, l’instituteur, le gardien du bouc communal qui recueille le personnage, le capucin, le secrétaire, …tous controversent, s’emportent devant cette figure diabolique et fulminante de sensualité, Pan.

Ces deux pièces restaurent dans la mémoire du lecteur ce que furent les luttes théâtrales d’une époque où les plus vifs combats esthétiques et politiques trouvaient sur les scènes d’Occident des lieux d’accueil et des porte-voix qui marquèrent le 20e siècle théâtral…

Paul Aron, dans sa postface, cadre avec érudition et clarté le mouvement de cette féconde histoire du théâtre belge et européen.

 Daniel Simon

 

https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/09/30/van-lerberghe-les-flaireurs-suivi-de-pan/?fbclid=IwAR0kK86u1eYRuzez7violhzCO9RqY9YO3X0k9pyM-aEciKVQLy6OmvnuV4k&cn-reloaded=1

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