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La raison des passions

Dominique VAN COTTHEM, Adèle, Genèse, 2022, 288 p., 22,50 € / ePub : 13,99 €, ISBN: 9782382010112

van cotthem adeleÇa se passe à Mons, à Cuesmes, aux États-Unis, dans un arc entre deux mondes.

Adèle est le deuxième roman de Dominique Van Cotthem, qui vient de sortir chez Genèse édition en ce début janvier. Avant de publier, l’autrice était fleuriste, renommée et créative ; elle vit à Chênée, près de Liège. Son premier roman, Le sang d’une autre avait été fêté par le prix des Lectrices et publié ensuite en Pocket.

Adèle est un roman multiple, complexe et dans le même temps, d’une tension qui fait la part belle à tout ce qui a constitué dans les années 1930 jusqu’aux années 1960 le capitalisme de la bourgeoisie, le mariage de classes, la violence bien souvent obsédante dans les relations conjugales.

Quelques dizaines d’années plus tôt, George Sand, à qui Adèle doit beaucoup dans la filiation littéraire, écrivait « Vous conduisez vos femmes au mariage comme on mène les vaches à l’abattoir » et cette phrase terrible résonne dans le destin d’Adèle. Dominique Van Cotthem nous déplie toutes les subtilités et les violences constitutives d’une société patriarcale basée sur l’agriculture et le patrimoine et, surtout, acharnée à tenir l’église au milieu du village, au sens propre et figuré… La Deuxième guerre mondiale approche, la première a laissé des traces terrifiantes et dans ce contexte, la vie avance comme une colonne de blindés.

L’autrice sait créer des situations dépouillées, où la complexité des sentiments, des émotions, des rapports se dit dans les gestes et les renoncements…

Antoine Griset aimait les chiens. Ce matin-là, vers 6 heures, il promenait son épagneul breton aux alentours des carrières de la Malogne. Habituellement, il allait plutôt du côté de Nouvelles, le long de la Wampe, le chien adorait tremper ses coussinets dans le ruisseau. Seulement, ce matin-là, allez savoir pourquoi, il s’est dirigé vers le sous-bois près de Cuesmes. Le chien s’appelait Gamin. Antoine Griset appelait tous ses chiens Gamin, sans distinction entre mâles et femelles. Ce Gamin-ci était son cinquième, il avait six ans et l’ardeur propre aux épagneuls. Éduqué à l’écoute, il réagissait au moindre claquement de langue ou sifflement de son maître. Antoine avait le don de rendre les chiens dociles. À force de patience, il obtenait d’eux à peu près tout ce qu’il voulait. En cas de désobéissance, il recourait rarement à la sanction, il lui suffisait de brandir un bâton et le chien s’allongeait, tête baissée en signe de soumission. L’homme et le chien formaient un duo indissociable, complice, uni par la confiance.

Et puis, très vite…

J’ai épousé le comte Jean-Mathieu de Brizan du Puy le 17 juillet 1937. C’était un samedi, il faisait beau, j’avais dix-huit ans.  

Le mari est violent, amoureux, pervers ; elle, calculatrice, soumise, rebelle, tenace…

Je demandai à Monsieur Seret [précepteur d’Adèle, ndlrde m’éduquer sur la culture de la vigne. La botanique n’étant pas sa matière de prédilection, il se procura des ouvrages spécialisés. Nous les parcourions ensemble, mon enthousiasme l’avait contaminé. 

Et voilà l’héroïne partie aux États-Unis pour acheter des plants de Chardonnay.

J’arrivai à New York affaiblie. Tyler Evans, le vigneron en charge de me fournir l’hébergement en plus des ceps, m’attendait sur le quai en brandissant un panneau à mon nom. Je dus rassembler l’ensemble de mes  forces avant de me diriger vers lui. Mes jambes flageolaient. Malgré la terre ferme, je ressentais encore les ondulations du navire.
— Enchanté de vous accueillir aux États-Unis d’Amérique, chère Madame. J’espère que vous avez fait bon voyage. 

Et l’aventure continue, acharnée, complexe, sous le soleil de Saturne et de Dionysos en même temps.

Les passions tristes et créatrices se mêlent, se confrontent dans une filière de roman policier, tout aussi passionnant que scrupuleux par rapport à l’Histoire.

Et c’est dans la trace d’une photo (un jeune femme descendant un  escalier, la main couvrant son visage) que, des années plus tard, Guillaume, qui a racheté le château en état de décomposition, découvre la présence de cette Adèle dont il remontera l’histoire après bien des événements sombres, secrets et violents.

L’autrice connaît son histoire et l’Histoire et sait faire rebondir le récit dans des scènes très cinématographiques, énergétiques pour la tension du roman…En ce sens, Adèle est un vrai roman populaire qui nous conduit dans une histoire rude qui fut celle des avant-guerres et qui commença, en Belgique, à fléchir dans les années 1970. Les personnages de classe jouent sur une scène tragique et les femmes quittent, dans des redressements de dignité héroïques, le sort de celles qui étaient à la charrue…

La dimension d’enquête en fait un sorte de roman policier des générations, des passions secrètes, des secrets de famille, des pudeurs et obscénités conjointes, mais aussi des femmes entrepreneures visionnaires, illuminées et tenaces.
Adèle est tout cela, et bien plus tant l’écriture de Dominique Van Cotthem sait conduite le lecteur à une complicité d’empathie forte et intelligente, qui est le… propre des romans plantés en bonne terre.

Daniel Simon

 

https://le-carnet-et-les-instants.net/2022/01/15/van-cotthem-adele/#more-44935

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