Yves-William DELZENNE, Venise n’expose qu’elle-même, Samsa, 2025, 134 p., 20 €, ISBN : 978-2-87593-580-9
Venise encore n’exposait qu’elle-même, ces siècles écoulés, la clepsydre de ses jours que griffait la pluie après le long soleil d’août qui avait si bien séché les enduits roses où des glycines s’agrippent mal.
Yves-William Delzenne nous offre, avec Venise n’expose qu’elle-même, un nouveau roman sous forme de promenade dans des lieux de mémoire et de mythologie littéraire, artistique, cinématographique, picturale… dans cette Venise, tellement surexposée qu’elle apparait souvent comme une sublime anamorphose… Car Venise, si elle existe depuis des siècles depuis sa magistrale fondation, s’est démultipliée dans le temps des œuvres et des admirations et on ne sait plus si Venise existe vraiment ou si c’est plutôt ce que nous voulons voir de Venise. Comme si elle était une prodigieuse diffraction du regard humain.
L’auteur nous précède dans ses infinies perceptions d’une ville fantasque et prodigieuse, mais Venise est menacée, Venise s’enfonce, Venise connait les effets de ce terrible néologisme du surtourisme et pourtant…Yves-William Delzenne, dans une langue toujours marquée d’une précision poétique qui révèle, mieux que tous les réalismes, les mystères de la Cité, nous invite encore et encore à la regarder telle qu’en elle-même, dans la beauté de ses histoires sombres et tragiques et de ses ubiquités.
Il y a tant de siècles ici, mouvants, se recouvrant les uns les autres et se donnant à voir aux passants même distraits. Elle est un labyrinthe de façades, de briques roses ou de marbre ocre, de murs lépreux, d’affiches du jour collées sur celles d’hier au pied des ponts, sur les surfaces aveugles de jardins cachés que défendent des portes grillagées, de boutiques grandes comme des cabinets de curiosités ou six personne peuvent à peine se tenir.
Yves-Wliiam Delzenne est un écrivain majeur qui s’emploie tout entier à mettre en œuvre dans les fictions ce que recèlent les traces du réel passé par la passion et les turpitudes humaines ; en cela, il construit un univers de remémoration de ce qui, souvent, ne fut pas, mais flotta dans la psyché collective.
Venise est la ville des morts, des illustres et des inconnus amoureux; elle regarde son cimetière au miroir de ses eaux turpides. Même les touristes ne parviennent pas à dénouer son linceul fait d’une cape de carnaval. Venise demeure allongée et sa pose est faussement voluptueuse. Les râles de l’amour et de la mort s’y confondent.
Ce roman, comme une rêverie éveillée, et donc à l’acuité sur-réelle, frappe encore par ce projet de « conservatoire de la beauté » qui hante toute l’œuvre de l’auteur. Magique.
Daniel Simon