Ephémérides du Confinement/8
La proximité de la souffrance d’un être se mesure en nous, en gestes, paroles, silences, regards, absences soudaines, rapprochements furtifs. Le sanglot est pour plus tard.
Dans L’Iliade, les guerriers vainqueurs pleurent leur ennemi anéanti, corps dans la poussière et le sang, et de ces pleurs, Homère ne nous laisse pas douter qu’ils sont avant tout des parades de reconnaissance, d’hommage et de vertu. On pleure bruyamment, en un spectacle de joie funèbre, on ne simule pas, on fait ce qu’il faut, comme dans le grand mélodrame des vies assignées au combat mortel.
Plus on pleure, plus le mélodrame se dévoile, ce sacré mélodrame de notre vie que nous pensions tragiques. Dans la tragédie, les larmes affleurent, restent à la lisière des cils, juste au bord, mais elles ne coulent pas, elles se retiennent.
Dans le confinement mortifère de tant de nos contemporains, les larmes ne se livrent plus au jeu obscène des selfies granguignolesques, elles se mettent en réserve, celle de l’intime, du hors scène.
Pleurer, c'est le temps d’après. Il s’agit d’abord de vivre et de mourir enfin dans le discret suspens des passions antérieures.
Il me semble que c’est le magnifique Ettore Scola, décédé en janvier 2020, qui, dans « Affreux, sales et méchants » (ou un autre qui m’échappe…), nous livra au cinéma une des visions les plus fortes de ce contraste essentiel.
Des comédiens entourent la fosse où l’un des leurs est descendu. Ils se recueillent, soudain un pet s’échappe, une saillie de vie force le silence recueilli et de gorge en gorge, les rires se livrent, sans larmes, dans la grande sarabande du dernier salut.