COLLECTIF, 50 ans, ça se joue !, Lansman, 2019, 96 p., 12 €, ISBN : 978-2-8071-0239-2
Un Cinquantenaire nouveau vient de prendre place dans le paysage culturel : celui du Théâtre Jean Vilar. Étrange et formidable histoire que celle de ce théâtre et de son fondateur, Armand Delcampe…
Le fameux « Walen buiten » de Leuven en 1968 fut une éruption politique et culturelle belge qui a marqué depuis l’accélération du processus de fédéralisation de notre pays… Il ne s’agit pas ici de gloser sur ces questions mais de rappeler que le sommet de l’intelligence perverse et de la bêtise, selon Flaubert ou Jarry, a bien eu lieu chez nous. Cela s’est traduit par la séparation, la fracture de la Bibliothèque universitaire de Leuven… Les étudiants francophones eurent le droit à une demi bibliothèque et les néerlandophones à l’autre moitié !
Un jeune homme, Armand Delcampe, poursuivait alors des études de droit à Leuven. Comme ses collègues étudiants, il fut donc poussé vers un territoire de betteraves et de boue qui deviendra Louvain-la-Neuve.
La force de Delcampe, héritier des grands bouleversements des efforts de démocratisation du théâtre français entrepris par Jean Vilar, fut de porter cet esprit au milieu des champs gras… L’emblème et le moteur fut installé d’abord au Blocry, une ferme entre fumier et poulaillers. Une buvette délaissée fut confiée au même D’Artagnan pour la transformer en l’actuel théâtre Jean-Vilar.
Le spectateur avide des théâtres du monde court alors là (et au Théâtre de Poche, au 140…) C’était aussi la naissance de ce que l’on appela le Jeune théâtre.
C’est cette aventure remarquable que Cécile Van Snick relaya dès 2005 comme assistante de Delcampe avant de devenir la nouvelle directrice de la Maison…Comédienne, diplômée de centre d’études théâtrales de l’UCL, grande connaisseuse des questions de décentralisation, elle porte l’avenir du nouveau théâtre Jean-Vilar, un projet bientôt en construction pour 2022.
« Une commande a donc été passée auprès de huit auteur(e)s d’une pièce d’un quart d’heure à deux personnages, destinée à être jouée lors de la soirée d’ouverture du festival du cinquantenaire. Le thème retenu était, bien sûr, « la cinquantaine », proposition suffisamment polysémique pour permettre à chacun et chacune d’y investir sa sensibilité et ses obsessions ou ses recherches personnelles. »
Huit auteur-e-s : Stéphanie Blanchoud, Geneviève Damas, Céline Delbecq, Paul Émond, Vincent Engel, Pietro Pizzuti, Virginie Thirion et Jean-François Viot.
C’est toujours un exercice périlleux que d’écrire à propos des anniversaires. Les textes choisis n’échappent évidemment pas à un effet de cristallisation parfois mais d’une certaine manière, la première qualité de ces « rassemblements » est de provoquer un sentiment de vertige devant l’infinité des variations. La singularité de chaque sujet traité est entière : l’amour, le langage, la bêtise, l’utopie, la duperie des êtres,…
Ces pièces ont été joué régulièrement pendant les festivités (avril 2019), et seront très probablement amenées à être représentées à d’autres occasions sous la forme « de lever de rideau », comme on disait au 19e siècle. Une courte pièce peut s’enchâsser dans nombre de manifestations avec le charme d’une situation vite campée qui se concentre sur l’essentiel.
L’écriture dramatique contemporaine tente à nouveau la mise en avant dans le langage de ce qui s’apparente à la vie quotidienne. Une banale situation et soudain un redressement, une tension, une torsion des relations dans des répliques de plus en plus détournées. On entend chez les auteurs une méditation sur le temps et les hommes obstinés à se tenir l’un à l’autre pour ne pas tomber.
Le plaisir de la lecture est présent mais ce n’est pas le destin d’un texte de théâtre évidemment. Il est à souhaiter que ces auteurs voient leurs pièces devenir de magnifiques machines à jouer dans les écoles de formation à l’art de la scène. Vivacité, vitesse, langue forte et personnages fragiles sont des matières magnifiques.
Souhaitons une nouvelle longue vie au théâtre Jean-Vilar qui se consacre encore et encore à la découverte et au soutien des écritures dramatiques contemporaines.
Daniel Simon