Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'
de Alphonse de Lamartine issue de Harmonies poétiques et religieuses Livre 3ème
Ce texte, fabuleux du grand Lucrèce...répond, anticipe, fonde un système de songes et d'ectoplasmes subsumés par les objets...
Les simulacres
Lucrèce, De la nature, livre IV
vers 30-100 ; 240-265
De tous les objets il existe ce que nous appelons les simulacres : sortes de membranes légères détachées de la surface des corps et qui voltigent en tous sens parmi les airs. Et dans la veille comme dans le rêve, ce sont ces mêmes images dont l'apparition vient jeter la terreur dans nos esprits, chaque fois que nous apercevons des figures étranges ou les ombres des mortels ravis à la lumière ; c'est elles qui, bien souvent, nous ont arrachés au sommeil, tout frissonnants et glacés d'effroi. N'allons donc pas croire que des âmes puissent s'échapper de l'Achéron, ou des spectres voltiger parmi les vivants; ne croyons pas davantage que rien de nous puisse subsister après la mort, puisque le corps et l'âme simultanément anéantis, se sont dissociés l'un et l'autre en leurs éléments respectifs.
Je dis donc que des figures et des images subtiles sont émises par les objets, et jaillissent de leur surface : ces images, donnons-leur par à peu près le nom de membranes ou d'écorce, puisque chacune d’elles a la forme et l’aspect de l’objet quel qu’il soit, dont elle émane pour errer dans l'espace. Ceci, grâce à mon raisonnement, l'esprit le plus obtus le pourra comprendre.
Tout d’abord, parmi les objets à la portée de nos sens, on en voit beaucoup émettre de leurs éléments : de ceux-ci, les uns se dissipent et se résolvent dans les airs, comme la fumée du bois vert ou la chaleur de la flamme ; les autres au contraire sont d'une contexture plus serrée : telles les rondes tuniques qu'à l'été abandonnent les cigales, les membranes dont les veaux se défont en naissant ou encore la robe que le serpent glissant quitte au milieu des ronces — dépouille flottante dont souvent nous voyons s'enrichir les buissons.
Puisque de tels phénomènes se produisent, une image impalpable doit également émaner des corps et se détacher de leur surface. Pourquoi en effet les éléments que je viens de citer se détacheraient-ils des objets, plutôt que des émanations subtiles ? À cela nul ne saurait répondre, d'autant plus que nombre de ces éléments minuscules, se trouvant à la surface des corps, peuvent la quitter sans modifier leur ordre, sans changer d'aspect, et avec une vitesse d'autant plus grande que, placés en première ligne, peu d'entre eux rencontrent des obstacles sur leur route.
Car il est certain que nous voyons de nombreux objets émettre en abondance, non seulement de leur substance intime, comme nous l'avons dit plus haut, mais même de leur superficie, les éléments de leur couleur. C'est le cas, notamment, des voiles jaunes, rouges et verts qui tendus dans nos vastes théâtres, flottent et ondulent le long des mâts et des traverses ; au-dessous d'eux, tout le public réuni sur les gradins, le décor de la scène, les rangs augustes des sénateurs se colorent et se teignent de leurs reflets mouvants. Et plus l'enceinte du théâtre est haute et étroite, plus aussi tous les objets sont baignés de ces riantes couleurs, dans la lumière raréfiée du jour. Si donc les étoffes émettent extérieurement des éléments colorés, tout objet doit également envoyer des images subtiles, puisque dans les deux cas, c'est la surface qui les projette. Il existe donc bien des figures à l'image des corps ; formées d'un tissu impalpable, elles voltigent dans l'espace, et leurs éléments isolés ne sauraient être aperçus.
En outre, si toute odeur, fumée, chaleur, et autres émanations semblables se dissipent au sortir des objets, c'est que, en cheminant depuis les profondeurs où elles ont pris naissance, elles se divisent dans les sinuosités du parcours, et ne trouvent pas d'issues directes pour s'échapper ensemble après leur formation. Au contraire, la mince membrane colorée émise de la surface ne rencontre rien qui puisse la déchirer, puisque sa place en première ligne lui assure un libre chemin. Enfin, tous les simulacres qui se reflètent dans les miroirs - bassins d'eaux ou surfaces polies - puisqu'ils offrent l'apparence exacte des objets n'en peuvent être que des images détachées de la surface.
De tous les objets il existe donc des reproductions exactes et subtiles, dont les éléments isolés sont invisibles, mais dont l'ensemble, sous l'impulsion du miroir qui ne cesse de le renvoyer, est capable d'apparaître à nos yeux. On ne saurait, semble-t-il, expliquer d'autre manière comment ils se conservent assez bien pour rendre la parfaite image de chaque chose.
[…]
C'est donc dans les images que semble résider le principe de la vision, et sans elles nul objet ne peut nous apparaître. Du reste, les simulacres dont je parle se portent sans doute de tous côtés et se distribuent en tous sens ; mais, comme nous ne pouvons les discerner que par les yeux, c'est seulement du côté où nous tournons nos regards que tous les objets viennent les frapper avec leur forme et leur couleur.
Quant à la distance qui nous sépare des objets, c'est l'image qui nous la révèle, et nous permet de l'apprécier. En effet, l'image, aussitôt émise, pousse et chasse en avant tout l'air interposé entre elle et nos yeux ; cet air ainsi chassé se répand dans nos yeux ; son flot baigne nos pupilles, et passe.
Voilà comment nous voyons chaque objet à sa distance ; et plus grande est la colonne d'air agitée devant nous, plus le souffle qui baigne nos yeux vient de loin, plus l'objet nous apparaît reculé dans le lointain. Sans doute toutes ces actions s'accomplissent-elles avec une prodigieuse rapidité, pour que nous percevions en même temps la nature de l'objet et sa distance.
Dans tous ces phénomènes, il ne faut pas s'étonner que les simulacres isolés puissent frapper nos yeux sans être aperçus, alors que les objets eux-mêmes nous apparaissent. De même quand le vent nous bat à coups redoublés, quand l'âpre froid se coule en nous, nous ne sentons pas chaque particule isolée de vent et de froid, mais une impression d'ensemble ; et nous voyons alors notre corps se meurtrir, comme si une force étrangère venait le battre et se révélait du dehors.
Je dis donc que des figures et des images subtiles sont émises par les objets, et jaillissent de leur surface : ces images, donnons-leur par à peu près le nom de membranes ou d'écorce, puisque chacune d’elles a la forme et l’aspect de l’objet quel qu’il soit, dont elle émane pour errer dans l'espace. Ceci, grâce à mon raisonnement, l'esprit le plus obtus le pourra comprendre.
Tout d’abord, parmi les objets à la portée de nos sens, on en voit beaucoup émettre de leurs éléments : de ceux-ci, les uns se dissipent et se résolvent dans les airs, comme la fumée du bois vert ou la chaleur de la flamme ; les autres au contraire sont d'une contexture plus serrée : telles les rondes tuniques qu'à l'été abandonnent les cigales, les membranes dont les veaux se défont en naissant ou encore la robe que le serpent glissant quitte au milieu des ronces — dépouille flottante dont souvent nous voyons s'enrichir les buissons.
Puisque de tels phénomènes se produisent, une image impalpable doit également émaner des corps et se détacher de leur surface. Pourquoi en effet les éléments que je viens de citer se détacheraient-ils des objets, plutôt que des émanations subtiles ? À cela nul ne saurait répondre, d'autant plus que nombre de ces éléments minuscules, se trouvant à la surface des corps, peuvent la quitter sans modifier leur ordre, sans changer d'aspect, et avec une vitesse d'autant plus grande que, placés en première ligne, peu d'entre eux rencontrent des obstacles sur leur route.
Car il est certain que nous voyons de nombreux objets émettre en abondance, non seulement de leur substance intime, comme nous l'avons dit plus haut, mais même de leur superficie, les éléments de leur couleur. C'est le cas, notamment, des voiles jaunes, rouges et verts qui tendus dans nos vastes théâtres, flottent et ondulent le long des mâts et des traverses ; au-dessous d'eux, tout le public réuni sur les gradins, le décor de la scène, les rangs augustes des sénateurs se colorent et se teignent de leurs reflets mouvants. Et plus l'enceinte du théâtre est haute et étroite, plus aussi tous les objets sont baignés de ces riantes couleurs, dans la lumière raréfiée du jour. Si donc les étoffes émettent extérieurement des éléments colorés, tout objet doit également envoyer des images subtiles, puisque dans les deux cas, c'est la surface qui les projette. Il existe donc bien des figures à l'image des corps ; formées d'un tissu impalpable, elles voltigent dans l'espace, et leurs éléments isolés ne sauraient être aperçus.
En outre, si toute odeur, fumée, chaleur, et autres émanations semblables se dissipent au sortir des objets, c'est que, en cheminant depuis les profondeurs où elles ont pris naissance, elles se divisent dans les sinuosités du parcours, et ne trouvent pas d'issues directes pour s'échapper ensemble après leur formation. Au contraire, la mince membrane colorée émise de la surface ne rencontre rien qui puisse la déchirer, puisque sa place en première ligne lui assure un libre chemin. Enfin, tous les simulacres qui se reflètent dans les miroirs - bassins d'eaux ou surfaces polies - puisqu'ils offrent l'apparence exacte des objets n'en peuvent être que des images détachées de la surface.
De tous les objets il existe donc des reproductions exactes et subtiles, dont les éléments isolés sont invisibles, mais dont l'ensemble, sous l'impulsion du miroir qui ne cesse de le renvoyer, est capable d'apparaître à nos yeux. On ne saurait, semble-t-il, expliquer d'autre manière comment ils se conservent assez bien pour rendre la parfaite image de chaque chose.
[…]
C'est donc dans les images que semble résider le principe de la vision, et sans elles nul objet ne peut nous apparaître. Du reste, les simulacres dont je parle se portent sans doute de tous côtés et se distribuent en tous sens ; mais, comme nous ne pouvons les discerner que par les yeux, c'est seulement du côté où nous tournons nos regards que tous les objets viennent les frapper avec leur forme et leur couleur.
Quant à la distance qui nous sépare des objets, c'est l'image qui nous la révèle, et nous permet de l'apprécier. En effet, l'image, aussitôt émise, pousse et chasse en avant tout l'air interposé entre elle et nos yeux ; cet air ainsi chassé se répand dans nos yeux ; son flot baigne nos pupilles, et passe.
Voilà comment nous voyons chaque objet à sa distance ; et plus grande est la colonne d'air agitée devant nous, plus le souffle qui baigne nos yeux vient de loin, plus l'objet nous apparaît reculé dans le lointain. Sans doute toutes ces actions s'accomplissent-elles avec une prodigieuse rapidité, pour que nous percevions en même temps la nature de l'objet et sa distance.
Dans tous ces phénomènes, il ne faut pas s'étonner que les simulacres isolés puissent frapper nos yeux sans être aperçus, alors que les objets eux-mêmes nous apparaissent. De même quand le vent nous bat à coups redoublés, quand l'âpre froid se coule en nous, nous ne sentons pas chaque particule isolée de vent et de froid, mais une impression d'ensemble ; et nous voyons alors notre corps se meurtrir, comme si une force étrangère venait le battre et se révélait du dehors.