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Une très belle lecture de Emilie Gäbele dans Le Carnet et les Instants
Inge SCHNEIDBakwanga, la pierre brillante. Une vie de femme au Congo de 1950 à l’Indépendance, Couleur Livres, coll. « Je », 2019, 206 p., 18€, ISBN : 978-2-87003-893-2

En 1950, à peine âgée de vingt ans, Inge Schneid débarque au Congo belge pour rejoindre son mari, Charles, alors jeune employé de la Forminière, une importante société minière. Après un voyage en avion éprouvant et une traversée du pays, elle rejoint la région du Kasaï, réputée pour ses mines de diamants. Inge fait la connaissance d’un pays encore entièrement aux mains des Belges et des Européens. La chaleur suffocante, l’humidité ambiante, les Congolais, les villages isolés, les plaines arides, les denses forêts… tout est neuf pour elle. Elle découvre la vie de colon, ses avantages et ses inconvénients. Leur quotidien semble paisible à cette époque-là : les familles bénéficient chacune de l’aide de plusieurs boys, les femmes passent le plus clair de leur temps au bord de la piscine du Club, on s’amuse le soir autour d’un bon whisky ou lors des saturday night fever… Charles n’est pas très festif, mais Inge se plait à jouer de l’accordéon dans le petit orchestre du poste. Deux cents âmes européennes vivent à cette époque au poste de Bakwanga. Tous les hommes sont employés à la société minière qui s’étend toujours plus, sur des milliers d’hectares.

Inge prend goût à cette nouvelle indépendance. On lui propose un poste de secrétaire d’accueil au service social. Une fois par semaine, a lieu la pesée des enfants des mineurs. La Forminière veut s’assurer que le taux de mortalité infantile diminue afin de bénéficier par la suite d’une main d’œuvre en bonne santé. Les colons disséminent partout la bonne parole biblique et offrent les soins de santé. Bien entendu, dans les années 50, les droits des travailleurs noirs sont quasi inexistants. Ils restent taillables et corvéables à merci. Les Européens se font sur leur dos énormément d’argent. Les Congolais sont encore vus, par la plupart des colons, comme des êtres inférieurs, des « sauvages ». Toutes sortes de récits, certains extravagants et complètement loufoques, alimentent les discussions entre Blancs.

Inge et Charles ne craignent pas l’aventure et parcourent le pays à plusieurs reprises, notamment pour se rendre en Belgique. Inge travaille quelques mois à la maternité avant de donner naissance elle-même à un garçon et une fille. Elle travaille ensuite au service des rendements de la Forminière. Plus les années passent, plus elle se rend compte à quel point elle ne connait pas les Congolais. Ils font partie du paysage mais n’intéressent pas les colons. Inge s’interroge sur la justification du colonialisme.

Dans les années 50, les premières voies contestataires s’élèvent. Dans les villes tout d’abord, notamment à Léopoldville. Le progrès gagne du terrain. Des écoles laïques et des universités ouvertes aux Noirs voient le jour. On ne veut plus de la mainmise européenne et du colonialisme. Les Congolais veulent se libérer du joug européen. Un vent de contestation, bientôt suivi d’un vent de colère surgissent. Le MNC de Patrice Lumumba revendique des postes-clés. L’Indépendance est demandée. Les colons vivent ces premières perturbations avec insouciance, surtout dans les régions reculées. L’indépendance n’est alors pour eux qu’un sombre mot. Selon eux, la Belgique ne peut pas les abandonner. Toutefois, en janvier 1959, le roi Baudouin demande que l’indépendance soit réalisée « sans atermoiements funestes et sans précipitation ». La Belgique signe l’Indépendance et expédie les affaires économiques sans vraiment se soucier des colons qui ont investi là-bas. Un an et demi plus tard, l’Indépendance est proclamée. Un gouvernement congolais est élu. Mais des tensions s’élèvent au sein-même des groupes politiques et ethniques. Le pays plonge peu à peu dans le chaos. Des milices de la Force publique prennent possession du pays. Les colons doivent se rendre à l’évidence : ils ne sont plus les bienvenus. La plupart d’entre eux rentre en Belgique l’été 1960.

Ce roman autobiographique, publié dans la collection « Je » – qui reprend exclusivement des récits de vie et des témoignages -, retrace dix années de la vie d’Inge Schneid passées au Congo, de 1950 à l’Indépendance en 1960. Avec humour, aisance et naturel, elle raconte ses années de vie personnelle, sociale et professionnelle. Elle dresse aussi, sans langue de bois, un portrait de la fin du colonialisme belge. Ce roman, écrit et publié des décennies après les faits, bénéficie de toute la distance et clairvoyance nécessaires. Les récits sur le Congo abondent. Il est toutefois intéressant d’entendre le point de vue d’une femme colon, plutôt émancipée pour son époque, de voir la naïveté et l’insouciance qui guidaient ces personnes, mais aussi, dans une certaine mesure, de voir comment elles ont été sacrifiées par le gouvernement belge. À plusieurs reprises, Inge fait des parallèles avec la Seconde guerre mondiale qu’elle relate dans un précédent livre, Exil aux Marolles, qui avait été très fortement salué par la presse et les spécialistes. Un orage violent, des coups de fusil… de nombreux événements lui rappellent les heures sombres de la guerre 40-45. Elle appuie également son propos de notes et d’extraits de différents ouvrages. Ce récit est un témoignage important et a toutes les qualités pour être déclaré d’utilité publique.

Émilie Gäbele

https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/08/09/schneid-bakwanga-la-pierre-brillante/#more-26065

Soulignons encore ici la qualité de la peinture de Salimata Kaboré

Tag(s) : #Articles
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