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Les carnets retrouvés / 4

Il commençait à comprendre ce qui se murmurait en-dessous des invectives et des coups de gueule. Les feux du chaos allumés autour de la question de l’origine étaient le nom de quelque chose de plus mystérieux, de plus subtil, comme les gazouillis d’une langue maternelle avant la forme d’usage des hommes rassemblés.

 

Ce mystère n’était pas celui du lieu, les hommes bougeaient tant et tant, s’installaient sous un grand arbre, plantaient leur tente, fondaient une famille, un village, une tribu, puis repartaient un jour sous la charge des malheurs ou des bonnes fortunes. Tout le temps ils marchaient et cela les épuisait ou les rendait heureux.

 

Ce qui était en cause, c’était le temps. Cette origine était le nom d’un temps du début, un temps qui ne reviendrait jamais et qui s’était posé là ou là sur l’épaule des hommes, indifféremment et avec la même intensité. Quitter ces lieux d’origine, c‘était comme s’effacer soi-même de la photographie dont le temps captif soudain s’évaporerait et laisserait le cliché inerte.

 

 

 

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Sous le communisme, régnait en Pologne ce que les polonais appelaient la « double morale »… Dans les familles, on enseignait aux enfants à « ne pas voler, ne pas mentir, ne pas… » (selon les Commandements très catholiques), et les parents ajoutaient, « mais dès que tu es hors de chez toi, vole, mens, débrouille-toi. »

 

Ça, c'était la deuxième partie des « Instructions aux domestiques » communistes. Le Mur est tombé et on aurait pu penser comme les canards laqués d'Occident qu'une « nouvelle morale » allait nous arriver, (une révolution de jasmin allait refaire le coup ailleurs plus tard), ce fut le contraire. Une résistance à l'empathie, une violence de la pensée, un travestissement des « principes » en parodies rigolardes, les corps devenus objets racoleurs de tourisme… C'était ce que nous avions volontairement dénié et qui nous arrivait en pleine face.

 

De nouvelle morale, nenni, d'une radicalisation de l'immoralité jusqu'à l'amoralité, certainement, d'un cynisme travesti aux couleurs des « droits », des « valeurs », des « principes moraux », encore plus…

 

Personnellement, que l'homme ne soit pas « bon, gentil, généreux et tolérant » ne m'étonne en rien. Ça ne me fait aucun problème, sinon on parlerait des pierres du chemin. Ce qui m'étonne c'est que soixante ans d'éducation et de culture depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale ont été suffisants pour créer un Système d'enfumage général. En gros : deux positions : la démocratie, c'est bien et « ils » vont y arriver comme nous… Et nous, nous… on est convaincus que les méchants c'est les autres. Mon nounours en témoigne, il est présent à chaque Commémoration et Marche blanche…

 

Ce qui pose problème, me semble-t-il, et la littérature de Gombrowicz en avait fait sa matière, c'est cette sorte de purisme de l'inconscience, résumée dans des pensées approximatives de type contradictoire (les flux d'opinions, globalement, sur Internet) comme si les paradigmes n'avaient pas entièrement changé. Fin des contradictions, ère des paradoxes. Fin des alliances, ère des prébendes, fin du Droit international, ère des Propagandes humanitaires… La mauvaise foi en le catéchisme et le mensonge comme prière quotidienne.

 

Intéressant de constater que le crime est souvent, merci Agatha Christie, tellement plus abominable chez les figures d'innocents fragiles que chez les brutes apparentes.

Du mythe de l'Innocence, nous sommes passés à celui de la conscience, puis de l'insouciance et enfin à celui de l'inconscience joyeuse.

 

La littérature a du travail encore et encore…

 

 

 

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Il y a des livres que je crois avoir lus, qui m'ont bouleversé, que je raconterais de bout en bout, dont certaines phrases traversent mes rêves et m'aident à écrire ce que je poursuis dans le refuge de ma tanière.

 

Tout y est : ossements anonymes, jouets brisés, mèches de cheveux enrubannées, vieilles cartes routières, canif rouillé, passeports périmés, montre arrêtée sur 12 h 01, photo de femme mains ouvertes sur les yeux…Tout et encore plus.

 

Ce roman, je le connais par cœur, n'a jamais été écrit, est composé de fragments, de rognures, d'échardes, de mots glanés ci et là tombés dans la tanière du renard. Avec le temps, tout s'est entremêlé, s'est fondu, agglutiné, des lignes se sont imposées, des phrases ont surgi comme neuves, des murmures ont fait frissonner des personnages inachevés qui, à chaque rêve, se consolident, se charpentent, parfois j'apparais ou meurs, je suis fasciné par la beauté d'une peau mate qui s'enfonce dans l'ombre, parfois des bombes, la mitraille, le nom ancien des ennemis, des sanglots terribles, l'incendie.

 

Ce livre me tient éveillé, le temps est passé, ne cesse de se détourner de moi, les récits s'amoncellent, se sont épaissis de telle sorte que je vais devoir quitter ma tanière plus tôt que prévu, le roman a pris toute la place, il a envahi l'espace de mes nuits blanches, il devient monstrueux, inracontable, il est en train de me détruire au rythme de sa consomption dans une blancheur glaciaire, la nuit grandit en moi comme une page sans mesures, une germination sans fin.

 

Alors, j'en écris des bribes, des passages que je saisis dans le fouillis de ces récits intriqués, j'en extrais quelques lambeaux que je publie sous des titres vagues. Je n'ai rien fait en somme, tout s'est tassé, émietté et j'ai gratté le sol de ma tanière, rempli ma main de cette poussière des hommes et l'ai laissée couler entre mes doigts pour former les phrases que je découvre chaque matin.

 

 

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Il y en a qui écrivent comme on marche dans la neige en levant les genoux et traînant les pieds. Des gesticulations qui ne font que des trous dans… le vide. Ça s'entend de loin, le cliché un peu travaillé, des éruptions d'émotion devant un camembert, des gentillesses pour les pauvres, les femmes et les chats, des « alors » et des « mais » qui crépitent comme du pop-corn, des vieux, des enfants, de la mémoire et des confitures, des saveurs sans goût véritable, des lourdeurs annoncées en début de chapitre, des idées aussi lisses que la trace d'une limace, bref, de la fabrique de macarons littéraires à offrir aux édentés. Les carnassiers sont devenus polis, ils ne crachent plus sur les tombes, ne cognent plus les faibles et ne volent plus les vieilles. Ils respectent la religion car il y a des limites et ne pissent jamais dans les nouveaux bénitiers. C'est joli comme un nain de jardin, fade comme une dorade mal cuite, ennuyeux comme un dimanche à Vilvoorde, et juste à côté du sujet comme les débats sur le dialogue des cultures dans les centres ad hoc de ce pays évaporé.

 

 

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De la photographie argentique, Barthes parlait d’« image fantôme ». De la numérique, on pourrait parler d'« image aveugle ». Elle a été, par sa déportation dans un temps accéléré de volatilité, lestée d’une sorte de disparition immédiate qui ne la rend plus « regardable » mais aperçue…Puis, perdue, effacée, dissipée. Le fait que le regard du photographe (disons le « capteur ») n'est plus dans le viseur mais dans un « hors cadre » permet par ailleurs de capter des images qui n’auraient peut-être jamais été visées dans le temps argentique.
L'appareil photographie souvent d'un endroit autre que celui du regard du « capteur ». Cette dimension de cécité est absolue dans le selfie tragique (mort par selfie…), la disparition de toutes les photos du disque dur, ou la dispersion sur le Net. Toutes façons d'aveugler ce qui est regardé et de montrer ce qui n'a pas été vu mais entr'aperçu.

 

 

 

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« Vrai ». J'adore l’usage délirant de ce mot, c'est presque un label de crédulité volontaire, utilisé par toute pensée manipulatrice et « faussement naïve et juste ». Un vrai citoyen, un vrai démocrate, un vrai artiste, un vrai belge, un vrai congolais, un vrai musulman, un vrai juif, un vrai laïc, un vrai communiste, socialiste, écologiste, catholique, et Cie. Un vrai fils du peuple, un vrai intellectuel, un vrai gentil, un vrai salaud, un vrai…

 

Cette affirmation obsessionnelle du vrai est une référence à un absolu délétère.

 

Quittons les vrais purs menteurs et les vrais sincères faux-culs pour aller vers les hommes incertains et qui doutent.

 

 

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Tag(s) : #Textes
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