"Le trou". Charleroi / Séquence 2

Franky ne sourit pas, il pétille d'intelligence mais ne sourit pas, une pose pour la bonne distance, une façon de mettre son galurin en scène,...Pierre, le frère silencieux le dévore des yeux, court chercher de l'argent au distributeur, vient se rasseoir en nous regardant en train d'écouter son frère, il commence alors à poser une question, simple, directe, puis une autre et une autre encore, celles auxquelles on n'échappe pas...

" T'as une femme? Des enfants? Il y a trois jours? C'est pas ta femme alors? 

Bientôt, peut-être

T'as été marié?  Une histoire de cul ou d'amour? Il y a toujours de l'amour, un court moment, mais il y en a toujours, c'est certain. Moi je n'ai personne, on est trois frères, mais lui Franky, je l'adore, il a réussi, moi je ne suis rien. Surdoué qu'ils ont dit, trente ans et rien, j'ai arrêté de fumer, je prends des médocs, c'est dur, mais ça va, je ne suis rien ici, nulle part et pourtant je suis intelligent, en math, en sociologie, en histoire où tu veux, j'apprends très vite, mais je ne suis pas, comment dire, bien dans ce monde, je ne suis pas de ce monde, je n'y suis plus, non.

Tu connais la souffrance, tu la connais hein?

Comme le monde 

Vraiment tout le monde?

Je crois, plus ou moins supportable , oui

C'est dur, j'y arrive pas, Franky c'est mon héros, il se laisse pas faire.

Et ma mère, elle est belle, très belle, une madone, si c'était pas ma mère, je la marierais.

Elle doit être très belle

Très, elle est un peu polonaise, notre grand-père est descendu dans la mine et est devenu chef de mine, il connaissait tout, c'était un homme juste, respecté, c'est lui qui faisait la loi, plus que les ingénieurs, il adorait sa mine, il apprenait la géologie, il s'y connaissait.

Il a emmeneé une fois sa femme à huit cents mètres en-dessous, elle n'est pas remontée la même qu'il disait toujours. Elle a une bonne pension aujourd'hui, mais en fin de vie. Elle a bien vécu."